Le débat citoyen du 30 mars dernier sur la Télévision togolaise (TVT) concernant la nouvelle constitution suscite des réactions. Dans cette tribune, Dr Georges WILLIAM-KOUESSAN, président du parti « Santé du Peuple », soulève trois points qui ont particulièrement retenu son attention au cours de ce débat : d’abord la composition du panel, ensuite le fond du débat, et enfin la présence remarquée des universitaires aux côtés des politiques. Lecture.
DÉBAT DU 30 MARS 2024
Tribune libre
Par Dr Georges WILLIAM-KOUESSAN
“LES UNIVERSITAIRES DANS LES UNIVERSITÉS, LA POLITIQUE AUX POLITIQUES”
J’ai suivi avec grand intérêt, l’essentiel du débat du samedi 30 mars 2024, organisé par la télévision nationale avec le concours de nombreuses autres chaînes.
Au cours de ce débat, trois choses ont particulièrement retenu mon attention : la composition du panel, le fond du débat et la présence remarquée des d’universitaires aux côtés des politiques.
1- la composition du panel
Sans nul risque de me tromper, j’affirme que c’est ce qui a premièrement retenu l’attention de tous les téléspectateurs le soir du samedi 30 mars 2024.
Je me suis demandé qui a pu avoir l’idée et l’audace de composer ainsi un panel pour un débat qui devrait être un message fort à l’endroit de tous les Togolais.
Le sujet de changement de constitution était brûlant depuis quelques jours dans le pays et ce débat devrait servir de lumière pour éclairer tous les Togolais.
C’était plutôt un rendez-vous manqué. L’histoire le retiendra. Huit partisans de la nouvelle constitution contre un seul opposant. Et de surcroît, le seul opposant, (qui a tenu brillamment tête à tous) n’était ni politique ni juriste.
Où a-t-on déjà vu un panel se constituer ainsi ?
A supposer que l’on ait invité certains membres de l’opposition qui auraient décliné l’invitation, pourquoi ne pas faire appel à d’autres ? Si on ne trouve aucun autre opposant à la nouvelle constitution à ajouter au panel, le bon sens voudrait que l’on réduise simplement le nombre des partisans pour créer un équilibre ou au moins un semblant d’équilibre.
Je suis d’autant plus surpris et choqué, qu’il y avait sur le plateau une myriade d’universitaires qui s’y était accommodée alors que c’est l’université qui nous inculque les grandes valeurs dont celle de l’équité.
Les enseignants de nos universités seraient-ils descendus à ce niveau ? Celui où l’on ignore même la simple notion d’équité ?
Le pouvoir veut être majoritaire partout, même dans la composition d’un panel de débat. C’est ahurissant.
2- le fond du débat
Les grandes questions qui ont été posées jusqu’à ce moment autour de ce changement de constitution sont : le manque de débat sur un sujet d’intérêt national, la nécessité de passer par un référendum, le régime parlementaire avec comme conséquence immédiate, la suppression des élections présidentielles et enfin la légitimité des députés proposants et votants.
En réponse à la première préoccupation, les panelistes partisans nous ont dit que le débat national n’apportera pas grand-chose, parce qu’on l’aurait expérimenté dans le passé sans succès. On a évoqué notamment le moment où le pays réclamait le passage au multipartisme et le cas CVJR avec Mme Awa Nana qu’on aurait tenté de lapider.
Des arguments aussi légers et aussi superficiels que surprenants. A supposer même que ces raisons avancées soient avérées, faut-il jeter le manche après la cognée ? Engage-t-on une démarche nationale en tenant compte de son taux de réussite de par le passé ou plutôt de sa nécessité et de son utilité sociale ?
Concernant la deuxième préoccupation. On se demandait si le législateur, en rédigeant la constitution de 1992, pensait que les 4/5 des députés équivalaient au peuple dans son entièreté, puisqu’un vote aux 2/3 exigerait le passage par le référendum.
A cette question on pouvait répondre oui si on n’était pas en face d’une Assemblée monocolore.
Comment les 4/5 d’une Assemblée Nationale installée par des élections législatives auxquelles les principales formations politiques de l’opposition n’ont pas pris part peuvent-ils équivaloir à tout un peuple ?
En réaction à la troisième question, les partisans de la nouvelle constitution nous disent, sans aucune gêne, que la suppression des élections présidentielles serait économique et permettrait d’éviter les crises à répétition qu’elles génèrent. Alors qu’il y a beaucoup d’autres situations qui font perdre énormément de l’argent à ce pays. Le cas des élections régionales, quadruplement budgétivores : le coût de leur organisation, celui de la mise en place de la logistique de fonctionnement du conseil régional qui en sera issu, celui de la mise en place du sénat et celui de son fonctionnement, est hautement illustratif.
A la dernière préoccupation, de loin la plus importante, on répond en nous disant que les députés ne sont pas intérimaires, donc du coup, qu’ils sont légitimes.
Une explication trop partielle qu’on comprendrait encore un peu s’il n’y avait pas d’enseignants de droit autour de la table.
Tout texte juridique a une lettre et un esprit. Prendre la lettre et laisser l’esprit, comme dans le cas d’un être humain, c’est créer un corps sans vie.
Je suis vraiment désolé pour tous ceux qui étaient sur ce plateau pour défendre le changement de constitution, ils n’étaient guère convaincants encore moins persuasifs.
3- la présence des universitaires sur le plateau aux côtés des politiques
On nous a habitués depuis quelque temps à la sortie des universitaires pour défendre les positions du régime, chaque fois que l’on prend une décision impopulaire. Cela s’est encore passé le samedi 30 mars 2024.
Nous les remercions pour leurs apparitions souvent spectaculaires, mais je pense qu’il faut que les universitaires restent dans les universités pour laisser les politiques faire la politique.
Les universitaires peuvent, au sein d’un collège de technocrates, donner leur position sur des questions relevant de leur compétence et de leur expertise. Mais les voir aux côtés des politiques pour défendre les positions d’un régime est gênant, surtout sur un plateau comme celui du 30 mars 2024.
La seule chose qui aurait pu ne pas mettre mal à l’aise dans de telles conditions, c’est que l’on nous dise s’ils sont membres de tel ou tel parti politique, le cas échéant. À ce moment-là, ils ne se présenteraient plus avec leur étiquette de scientifiques, mais avec celle de partisans venus défendre un parti plutôt que la science. Cela serait plus compréhensible.
Si quelqu’un aspire à faire la politique qu’il crée un parti politique ou qu’il intègre ouvertement un parti politique et qu’il s’y engage.*
Moi, j’ai choisi d’en créer un et de le positionner dans l’opposition, parce que j’estime qu’il y a beaucoup à revoir dans la gestion du pays.
A chacun son choix.