Objet : pratique discriminatoire de l’Etat togolais en lien avec la représentativité nationale
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Monseigneur,
Quand dans une cité les valeurs sociétales sont déconstruites et que les forts abusent de leurs privilèges et de leur position dominante, tout se désagrège et la maison de Dieu incarne alorsle dernier sanctuaire qui préserve la dignité des hommes et l’humanité en perdition.
C’est cette raison qui motive la démarche du FCTD à l’endroit des religieux et de l’Église Catholique afin que celle-ci, une fois encore, s’engage pleinement pour aider à consacrer plus d’équité, plus de justice, plus de fraternité, plus d’humanité dans notre Nation.
Le monde commémore le 10 décembre de chaque année, la journée internationale des Droits Humains. Mais si nous jetons un regard sur l’état de la Nation togolaise et la situation desdroits humains, il y a peu de raison de se réjouir. Les crimes sont légion. Nous voulons les aborder (sans être exhaustif) sous le prisme de la Déclaration Universelle des Droits del’Homme (DUDH).
Le 10 décembre 1948, en effet, les 58 États membres de l’Assemblée générale de l’ONU ont adopté la DUDH. Ce document fondateur demeure une source d’inspiration pour promouvoir l’exercice universel des droits de l’homme. Ces droits sont universels car ils défendent la dignité de l’Homme dans toute sa dimension, la sacralité de sa vie, sa liberté de parler et de croire, sa sécurité, l’équité sociale à laquelle il aspire, son droit à l’épanouissement, etc… Ces droits ne sauraient être bafoués par aucune autorité. Pourtant à l’analyse de la DUDH qui comporte une trentaine d’articles, on constate, qu’au moins 20 d’entre eux sont foulés aux pieds dans notre pays, par la plus haute autorité publique elle-même.
CRIMES DE SANG et IMPUNITE
L’Etat qui tue ses propres enfants, bafouant les Articles 3, 7, 28, 30 de la DUDH.
La violence contre les populations, afin de taire toute velléité contestataire ne date pas d’aujourd’hui. Déjà en 2005, le rapport de la « Mission d’établissement des faits chargée de faire la lumière sur les violences et les allégations de violations des droits de l’homme survenues au Togo avant, pendant et après l’élection présidentielle du 24 avril 2005 » disait ceci : « les différentes rencontres avec les acteurs, les témoins, les observateurs et les victimes de la crise togolaise permettent d’affirmer que les forces de sécurité et les Forces Armées togolaises ont joué un rôle majeur dans les actes de violations des droits de l’homme » ; et d’ajouter : « ces forces togolaises ont violé les normes élémentaires relatives aux droits de l’homme applicables aux agents chargés du maintien de l’ordre et de la sécurité. »
Ce scénario de violence à l’encontre des populations s’est répété encore en 2017-2018. Des « groupes d’autodéfense » (ce terme désignant des miliciens agissant pour le compte du pouvoir) ont perpétré des actes de violence gratuite, en totale impunité contre les populations ; il y a eu de surcroit des actes tragiques à l’encontre d’enfants innocents, mais ces infanticides sont pour la plupart restés impunis car les enquêtes n’ont pas avancé. Deux enfants ont leur corps à la morgue depuis maintenant cinq années et les familles attendent toujours que justice leur soit rendue. Ces familles méritent plus d’implication et d’engagement de l’Eglise pour l’aboutissement des enquêtes afin de mettre fin à leur souffrance.
CRIMES ECONOMIQUES et IMPUNITE
Ils sont légion et favorisent un enrichissement ostentatoire d’une oligarchie militaro-civile. Ils violent les Articles 6, 7, 22, 25, 26, 28, 30 de la DUDH.
Lorsqu’en 2012 Global Financial Integrity (ONG américaine) annonçait des niveaux de flux financiers illicites de l’ordre de 1000 milliards de FCFA par an dans notre pays, on était loin de se douter que la lutte contre la corruption et les détournements de deniers publics ferait encore face en 2023 à autant de scandales, impunis pour la plupart. La HAPLUCIA ou les mécanismes mis en place pour lutter contre la corruption ont plutôt montré le manque de volonté du pouvoir dans sa lutte contre les malversations financières et économiques.
Aujourd’hui le constat est là. Pour ce qui concerne l’indice de perception de la corruption, les données mondiales attribuent un score de 70 au Togo en 2022 (le Togo occupant la 130e place sur 180). L’échelle va de 0 à 100 et plus le score est élevé, plus la corruption est massive. Il est intéressant de noter qu’entre 2006 et 2022, le Togo est passé de 75 à 70, alors que le Bénin est passé de 75 en 2006 à 57 en 2022 (72e place) et le Ghana de 67 en 2006 à 57 en 2022 (72e place).
Le cercle vicieux de la corruption impacte négativement le développement, les investissements sociaux (santé et éducation), la paix sociale, la lutte contre la pauvreté, la cohésion nationale.
PRIVATIONS DES LIBERTES
Les libertés d’association, de réunion, d’expression, la liberté de presse sont en constante réduction. Les entraves aux libertés fondamentales bafouent les Articles 13, 19, 30 de la DUDH. La question spécifique des détenus politiques bafoue les Articles 5, 7, 8, 9, 10, 11, 29.
Le Togo se singularise par le nombre de ses prisonniers politiques. Ces personnes détenues arbitrairement s’apprêtent à finir l’année 2023 et à entamer une nouvelle année derrière les barreaux. Ils n’ont pas volé, ils n’ont pas tué. Ils ont osé dire NON à l’arbitraire et à la dictature et cela leur vaut leur situation derrière les grilles de détention. De multiples tentatives de part et d’autre, au Togo et dans la diaspora n’ont pas permis d’obtenir leur libération.
Le FCTD demande solennellement à l’ensemble des autorités religieuses de notre pays de se pencher davantage et inlassablement sur cette question. La réalité est que l’Eglise ne peut plus se taire sur la situation inacceptable de ces personnes et qu’Elle doit s’investir grandement pour obtenir le retour à la liberté pour ces personnes, qui sont des enfants de notre Nation.
Notre pays durcit davantage la restriction des libertés, à l’approche des élections. Les organisations de la société civile (OSC) sont interdites d’activité ou de circuler à l’intérieur du pays. Avec le logiciel d’espionnage Pegasus, l’intimité des citoyens est violée sans distinction aucune, en violation de l’Article 12 de la DUDH qui dit : « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. »
L’argent de Pegasus aurait pourtant permis de répondre à tant de besoins sociaux en termes de construction d’écoles pour satisfaire le droit à l’éducation pour tous ou d’achat de matériels médicaux comme des dizaines de scanners ou d’IRM (imagerie par résonance magnétique) pour satisfaire le droit à la santé de nos populations.
DISCRIMINATION DANS LA REPARTITION DES SIEGES DE DEPUTES
Elle est criante et viole les Articles 1, 2, 6, 7, 21 de la DUDH.
La Constitution du Togo marque dès son préambule la volonté du Peuple de construire un Etat fondé sur les droits humains, dont seul le respect garantit à chaque citoyen son humanité. Dans son Article 2, la Constitution du Togo affirme : « la République togolaise assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race, de sexe, de condition sociale ou de religion. » Et l’Article 11 dispose : « tous les êtres humains sont égaux en dignité et en droit. L’homme et la femme sont égaux devant la loi. Nul ne peut être favorisé ou désavantagé en raison de son origine familiale, ethnique ou régionale, de sa situationéconomique ou sociale, de ses convictions politiques, religieuses, philosophiques ou autres.».
Pourtant, à l’analyse de la répartition des sièges de députés, il est évident que celle-ci institutionnalise un déséquilibre régional et institue ainsi une inégalité régionale devant la loi entre citoyens d’une même nation. Même si l’histoire nous enseigne que depuis l’époque colonial, le Togo était scindé en deux parties ayant une « représentation égale », il est inacceptable aujourd’hui de maintenir des pratiques datant de l’ère coloniale.
L’Alliance Nationale pour le Changement (ANC), parti politique de l’opposition a produit une étude démontrant une représentation régionale inégale : Région Maritime 1 député pour 141.400 habitants, Région des Plateaux 1 député pour 65.438 habitants, Région Centrale 1 député pour 66.294 habitants, Région de la Kara 1 député pour 57.972 habitants, Région des Savanes 1 député pour 95.294 habitants. Autrement dit, selon les régions, 1 citoyen peut valoir près de 3 citoyens dans une autre région. Comment bâtir une Nation solidaire et un vivre ensemble dans ces conditions ?
Cette variation dans le coefficient de représentativité des populations soulève des interrogations et consacre une pratique inégalitaire et discriminatoire perpétrée par l’Etat à l’encontre de certaines de ses populations.
Le vœu du Front Citoyen Togo Debout (FCTD) est de voir les Togolais vivre en harmonie, dans un Etat de droit où les autorités publiques sont les premières garantes du respect des droits de l’homme. En cette journée de commémoration de ces droits fondamentaux universels, le FCTD demande à l’Eglise catholique de veiller au respect des droits humains, d’œuvrer contre l’impunité, de contribuer à réduire les inégalités et les discriminations sociales, comme le recommande notre Dieu, dans la Sainte Ecriture, Lévitique 19.15 : « tu ne commettras point d’iniquité dans tes jugements ; tu n’auras point égard à la personne du pauvre, et tu ne favoriseras point la personne du grand, mais tu jugeras ton prochain selon la justice. »
Dans l’espoir que l’Eglise entende nos prières pour la construction d’une société juste et équitable, je vous prie de croire, Mgr Benoît Messan Alowonou, Président de la Conférence des Evêques du Togo (CET), en l’assurance de mes respectueuses salutations.
Fait à Lomé, le 10 décembre 2023
Pr Ekoué David DOSSEH
1er porte-parole du FCTD