Togo- Changement constitutionnel: Des OSC contre la « poutinisation » qui guette le pays et convient les Togolais à la « résistance »

En conférence de presse ce jeudi 25 avril 2024 à Lomé, des acteurs de la société civile ont fait le point de leur rencontre avec la dernière mission de la CEDEAO au Togo. Ils reviennent sur le  coup d’Etat constitutionnel opéré par le régime. Un recours a été déposé devant la Cour de justice de la CEDEAO à ce sujet. Dans un leur déclaration liminaire, ils invitent l’ensemble des populations togolaises à la résistance jusqu’à l’alternance politique pacifique et au retour effectif de la constitution d’octobre 1992. Lecture.

CONFÉRENCE DE PRESSE

Déclaration liminaire

Adoption de la loi sur le changement constitutionnel sur fond d’impopularité au Togo : les organisations de la société se félicitent de la prise de position du Bureau des affaires africaines du Département d’État américain et encouragent les autres partenaires en développement à abonder dans ce sens.

L’exaspération des populations vis-à-vis de l’oppression du régime togolais sur fond de la mauvaise gouvernance caractérisée par la brutalité, la confiscation des libertés d’expression, d’opinion, de presse et d’association dans l’unique but de faire pérenniser un régime qui se traduit par la corruption au sommet de l’État, le détournement des deniers publics, l’accentuation de la pauvreté et de la vie chère, le chômage, l’absence d’eau potable, d’électricité, d’infrastructures routières, sanitaires, écolières, avec un système judiciaire aux ordres où les juges et leurs décisions sont constamment sous l’influence de l’exécutif, est véritablement à son comble. Alors que dans sa patience, le peuple se bat pour la reconquête de ses droits et libertés, le système oppresseur cherche à s’assurer un pouvoir à vie à travers un changement de la constitution pour un régime monarchique dans l’optique de renforcer l’oppression et le totalitarisme. Sur la complaisance de la CEDEAO vis-à-vis du régime togolais

Dans leur détermination à refuser la pérennisation d’une gouvernance qui se résume au culte de la personnalité et à œuvrer pour mettre fin à une souffrance inouïe de leurs concitoyens, les organisations de société civile ont engagé des actions multiformes, tant sur le plan national qu’à l’échelle internationale. Dans ce cadre, une délégation a rencontré la mission de la commission de la CEDEAO qui a séjourné au Togo du 15 au 20 avril 2024. En effet, le 18 avril 2024, les organisations de société civile ont été reçues par le Chef de mission de la commission de la CEDEAO, SEM Maman Sambo SIDIKOU et ses collaborateurs M. Ebenezer ASIEDU, chef Division Démocratie et Bonne Gouvernance CEDEAO, M. Constant GNAKADJA, chef Division Médiation et Coordination CEDEAO, en présence de M. Bacar BANJAI, Représentant Résident de la CEDEAO au Togo, dans les locaux de la BIDC à Lomé.

Les discussions ont essentiellement porté sur la crise politique togolaise actuelle marquée par le coup d’État constitutionnel orchestré par le chef de l’État togolais, son gouvernement et les député(e)s en fin de mandat.

Sur la polémique née des deux communiqués substantiellement différents de la CEDEAO par rapport à sa mission au Togo, les Responsables de l’organisation sous-régionale n’ont pas donné des réponses convaincantes à cela, et tout porte à croire que, sur la crise togolaise, la CEDEAO a des mains très liées au point qu’elle soit incapable d’afficher un ton de fermeté vis-à-vis des autorités togolaises. Sur la question relative au coup d’État constitutionnel, la mission de la CEDEAO a été bien édifiée sur les interprétations réelles de la constitution en vigueur, notamment celle du 14 octobre 1992, avec les violations en cours, en passant par l’illégitimité et l’illégalité de l’Assemblée nationale, le caractère anti-constitutionnel du changement opéré, le mépris des normes, pratiques et principes universels sur les changements de constitution, le mépris et la spoliation des droits du peuple, et plus précisément la violation de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples de juin 1980, du protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance de décembre 2001 et de la charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de janvier 2007.

Les organisations de société civile ont clairement expliqué aux émissaires de la CEDEAO la cause profonde du coup d’État constitutionnel qui est le refus d’alternance politique au sommet de l’État et l’intention de M. Faure Gnassingbé qui est très assoiffé du pouvoir et qui cherche à s’y éterniser après 19 ans de pouvoir qui viennent s’ajouter aux 38 années de son feu père, Éyadema Gnassingbé, alors que ce n’est un secret pour personne que le manque d’alternance au pouvoir est source de crise au Togo.

Les organisations de société civile ont notifié à la CEDEAO que M. Faure Gnassingbé est l’objet de la crise politique togolaise et qu’il devrait avoir de la considération pour les autres membres de son cercle qui sont aussi présidentiables et capables de diriger le pays, peut-être mieux que lui.

De manière rigoureuse et sur un ton grave, les organisations de société civile n’ont pas manqué de rappeler à la délégation de la CEDEAO ses différentes prises de positions légères, erronées et complaisantes sur le Togo dans les crises politiques de 2005, 2012, 2017 et 2020. Sur la question des élections législatives et régionales en cours, les organisations de société civile ont relevé le caractère non fiable du fichier électoral du fait des fraudes et les nombreuses irrégularités qui ont émaillé le recensement électoral ; le refus délibéré de la Commission nationale électorale indépendante (CENI) illégale de recenser plusieurs citoyens en âge de voter, sans oublier le rejet de certaines listes des candidatures de l’opposition sur des motifs fallacieux.

En réponse à la préoccupation majeure des togolais qui refusent le changement de la constitution et toute réforme qui permettrait à M. Faure Gnassingbé de s’éterniser au pouvoir, la mission de la CEDEAO dit avoir pris bonne note et qu’elle rendra compte à la Commission.

En considérant les échanges et à l’analyse de la position de la CEDEAO sur la crise togolaise, il ressort clairement que le problème se situe au niveau de la Conférence des chefs d’État qui dicte leur décision à la Commission, ce qui justifie le silence et l’absence de fermeté vis-à-vis des autorités togolaises du fait certainement de leur « générosité » et de leur « gentillesse » vis-à-vis des responsables de cette institution sous-régionale. Sinon, rien ne peut justifier une attitude de deux poids deux mesures de la même institution, qui a déployé avec promptitude un arsenal de sanctions contre les autorités des autres pays comme la Guinée, le Niger, le Burkina Faso et le Mali pour des faits antidémocratiques, et lorsqu’il s’agit des faits similaires au Togo, la CEDEAO semble justifier sa complicité en se cachant derrière la souveraineté du Togo. Il est inadmissible que la CEDEAO se soit intéressée promptement à la violation de la constitution au Sénégal et garde encore silence sur cette même violation de constitution au Togo.

De quelle souveraineté parle-t-on ?

Quand on parle d’une CEDEAO des peuples, Y a-t-il une autre souveraineté en dehors de celle du peuple ? Quand la CEDEAO fait semblant de ne pas savoir la position du peuple togolais, pourquoi garde-t-elle le silence sur la confiscation des libertés d’expression au Togo, où les manifestations pacifiques sont systématiquement interdites ? La CEDEAO ne reçoit-elle pas les informations sur le Togo par le biais de sa représentation qui est sur place ?

En tout état de cause, il apparaît désormais clair que la mission de la CEDEAO a pour but de faire valider le coup d’État constitutionnel à travers les élections dont les fraudes sont déjà actées en amont depuis les recensements électoraux ; bref, la CEDEAO est venue remplacer le rôle de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) dont la fourberie a été dévoilée par les organisations de société civile. La CEDEAO ne doit pas perdre de vue que l’arrivée de M. Faure Essozimna Gnassingbé au pouvoir en 2005 a occasionné plus de 500 morts selon le rapport de la mission onusienne d’enquête et d’établissement des faits.

En conséquence, par sa complaisance qui dure encore et son silence continuel sur les nombreuses dérives de la dictature togolaise, la CEDEAO est disqualifiée à intervenir comme médiateur dans la crise togolaise. Les organisations de société civile invitent les acteurs de la vie sociopolitique à la récuser purement et simplement.

Sur le recours devant la Cour de justice CEDEAO

Il est important de relever que la Cour de justice de la CEDEAO reste la seule institution crédible qui inspire encore confiance aux populations de l’Afrique de l’ouest. C’est pourquoi un recours a été déposé devant cette juridiction, par les organisations de la société civile, les partis politiques, pour voir ordonner à l’État du Togo le retrait pur et simple de cette loi sur changement constitutionnel prise en violation de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples, du protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance et de la charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Il convient de souligner que l’État togolais a reçu notification dudit recours et devrait répondre conformément au Règlement de procédure. À cet effet, toutes contributions visant à soutenir cette action en justice sont les bienvenues. Sur l’appel des organisations de société civile à l’endroit des autres partenaires en développement

Les organisations de la société civile se félicitent de la réaction du Bureau des affaires africaines du Département d’État américain qui a exprimé sa profonde préoccupation suite à l’approbation par l’Assemblée nationale du Togo d’importants changements constitutionnels sans consultation populaire préalable et qui a exhorté le gouvernement togolais à engager un débat ouvert, inclusif et transparent autour avant d’opérer une telle réforme majeure et à respecter les droits des Togolais de se réunir et de manifester.

Les organisations de société civile lancent un appel ultime aux autres partenaires en développement, notamment l’Union africaine, l’Union européenne et l’Allemagne qui ont toujours préservé une dignité par rapport à la moralisation et à l’éthique vis-à-vis des compromissions des dirigeants africains, à abonder dans ce sens et à œuvrer pour sauver les acquis démocratiques au Togo. En regrettant l’inefficacité de la CEDEAO et profondément concernées et vivement préoccupées par la longue crise sociopolitique au Togo, les organisations de la société civile demandent, avec insistance, une médiation plus crédible de la communauté internationale, notamment les États-Unis d’Amérique, la République Fédérale d’Allemagne, la France et l’Union Européenne, en vue de mettre ensemble les fils et les filles du Togo autour d’une table de discussion pour redéfinir librement les choix de ses orientations politiques.

Les organisations de la société civile réitèrent leur appel aux sanctions ciblées des partenaires en démocratie contre le chef de l’État togolais et tous ses collaborateurs ministres, conseillers et députés qui cherchent à priver le peuple de son droit fondamental qui est la Constitution de 1992 qu’il s’est librement doté par référendum. En tout état de cause, la Communauté internationale joue sa crédibilité vis-à-vis de l’attitude qu’elle affichera face à la tendance de « russification » et de « poutinisation » qui guette le Togo. Le peuple togolais attend de chaque partenaire qu’il affiche une position claire et ferme pour la défense et la protection de la démocratie au Togo.

Pour ceux qui ont vendu leur dignité en acceptant de prendre des présents à travers des financements politiques occultes de l’argent du pauvre contribuable togolais, il est temps de cesser ces pratiques immorales qui diminuent substantiellement les principes et valeurs qu’incarne et véhicule une démocratie vraie et sincère.

À ceux-là encore, il faut clairement signifier que quand nos dirigeants viendront vers eux dans l’optique d’acheter leur silence devant les graves violations des droits de l’homme et entraves à l’État de droit et à la démocratie, qu’ils leur disent que les temps ont changé et qu’ils doivent changer de paradigme ; qu’ils leur disent que la valeur ne se trouve point dans les richesses et encore moins dans l’argent du sang et de la corruption ; qu’ils leur disent que la valeur de l’homme se trouve dans la connaissance de la source de la vérité, de l’intelligence et de la sagesse ; qu’ils leur disent que l’argent public des togolais appartient aux togolais ; qu’ils aient le courage de leur dire de ramener cet argent pour équiper les hôpitaux pour que les femmes n’accouchent plus par terre comme l’a relevé une enquête d’Amnesty International ; qu’ils leur disent d’équiper les hôpitaux de scanner, de doter leurs populations d’eau potable et d’électricité, de construire les routes et les écoles, de créer les emplois et de lutter contre la pauvreté et la vie chère au Togo ; qu’ils leur disent que des dizaines de togolais meurent tous les jours faute de moyens et de soins adéquats ; qu’ils leur disent de cesser de torturer et de tuer leurs frères pour le pouvoir ; qu’ils leur disent que le pouvoir n’est pas éternel ; qu’ils leur disent de libérer la centaine de prisonniers politiques ; qu’ils leur disent de respecter les décisions de la Cour de justice CEDEAO ; qu’ils leur disent d’indemniser les victimes de tortures ; qu’ils leur disent de chercher à faire la paix avec leur peuple ; qu’ils leur disent enfin qu’il n’est pas encore tard de se corriger pour bien faire car ils ne sont pas tous puissants comme ils le prétendent.

La fin ne sera pas une fatalité, chacun choisit comment il voudra finir, soit par la grande porte, soit par les fenêtres ou les claustras.

Sur l’éventualité d’une promulgation du coup d’État constitutionnel

En outre, si d’aventure monsieur Faure Gnassingbé, dans sa boulimie du pouvoir, venait à promulguer sa forfaiture et son abus de pouvoir au mépris de la loi et du peuple, les organisations de la société civile invitent les populations togolaises à ne pas accepter le fait accompli, car la flamme des contestations et du rejet doit être maintenue pour mettre un terme à la forfaiture.

Étant donné que les initiateurs ne sont pas légitimes du fond en comble, la constitution de 1992 reste la seule convention nationale ratifiée par le peuple, le seul contrat social accepté par toutes les parties légitimes de la société togolaise. Les conventions n’engagent que leurs signataires et les togolais ne se sentiront pas liés des suites de ce coup d’État constitutionnel d’un réseau sectaire. Les organisations de la société civile convient donc l’ensemble des populations togolaises à la résistance jusqu’à l’alternance politique pacifique et au retour effectif de la constitution d’octobre 1992.

Fait à Lomé, le 25 avril 2024

Ont signé :

M. Daguerre K. AGBEMADOKPONOU (ALCADES)

M. Monzolouwè B. E. ATCHOLI KAO (ASVITTO)

M. Christophe Komlan TETE (GAGL)

M. Bassirou TRAORE (GCD)

M. Koffi DANTSEY (GLOB)

M. Poro EGBOHOU (FDP)

Dr Emmanuel H. SOGADJI (LCT)

Me Célestin Kokouvi G. AGBOGAN (LTDH)

Me Raphaël N. KPANDE-ADZARE (MCM)

M. Issaou SATCHIBOU (MJS)

M. Bertin BANDIANGOU (SEET)

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