Le mardi 21 mai 2024 passé, les députés élus ont pris fonction. Les cinq élus de l´opposition aux élections législatives sont partagés entre siéger ou ne pas siéger à l´assemblée nationale, pour des raisons que tout le monde connaît. Le choix de chacun est respectable. Mais que choisir face à cette situation?
Personnellement, je souhaite qu´ils y participent tous et j´ai apprécié la présence de Madame Adjamagbo de DMP et les députés d´ADDI à la première journée de cette législature. Je conseille aussi le député d´ANC et celui de FDR d´y participer. On sait tous que ce n´est pas une élection transparente mais le problème n´est pas là aujourd´hui. Le problème est : que peuvent faire maintenant les cinq députés face aux 108 députés d´UNIR pour faire bouger les choses et défendre les droits des Togolais qui les ont élus, qui leur ont donné ce mandat représentatif? Il est clair qu´en siégeant, ils ne peuvent pas empêcher les 108 députés à faire adopter les projets des lois que le gouvernement fera parvenir à l´assemblée nationale ou les propositions des lois qui émaneront des députés eux-mêmes. Mais faute de pouvoir empêcher l´adoption de certaines lois qui n´iront pas dans l´intérêt du pays, ou de faire voter certaines lois que les cinq pourront proposer, ils peuvent informer la population sur la manière dont les choses se passent et si possible dénoncer certains faits ou projets de loi du gouvernement. Ils auront ce rôle d´alerte et de dénonciation de mauvaises lois. Ce n´est pas un rôle négligeable. S´ils ne siègent pas, les effets seront encore pires pour les Togolais que de siéger car on ne saura jamais ce qui se passera à l´assemblée. Il n´y aura personne pour les critiquer à l´assemblée nationale.
Exemple: au premier jour de leur rentrée, le 21 mai 2024, ils voulaient mettre une commission en place pour rédiger le règlement intérieur de l´assemblée nationale mais à la grande surprise, ils ont voulu le faire conformément à la nouvelle constitution du régime parlementaire alors que les élections ont été organisées conformément à la constitution de 1992 et proclamées avec les visas de cette même constitution de 1992. Si Madame Adjamagbo n´avait pas y été, nous ne pourrions pas le savoir. C´est elle qui a donné cette information et s´est opposé à ce genre de choses illégales et non conformes aux règles constitutionnelles. Même si elle ne pourra pas s´y opposer, étant seule, au moins elle a dénoncé et informé au lendemain les journalistes par une conférence de presse. C´est déjà bon. Les députés de la majorité parlementaire reconnaîtront en âme et conscience leur dérive sans limite.
Le second volet de cet article est que j´interpelle les juristes députés qui sont dans UNIR. En vos qualités de grands juristes, dites à vos camarades députés d´UNIR en tant que Juristes que cette législature ne peut pas fonctionner sur la base de la nouvelle constitution. Il faut dire au président de la république aussi que ce n´est pas possible, car ces élections sont organisées sous la constitution de 1992. Cette législature ne peut pas être régie par la nouvelle constitution mais par la constitution de 1992. Toute décision qui sera prise par les députés nouvellement en fonction, sur la base de la nouvelle constitution sera anti-constitutionnelle. Cette législature de 2024 va seulement accompagner le président de la république jusqu´à la fin de son mandat en 2025 pour une nouvelle élection législative.
En plus, je dois rappeler que le Togo est le premier pays à adopter le régime parlementaire dans la sous région. Servez de modèle aux autres. Ce régime parlementaire rentrera en fonction à la fin du mandat du président de la république. Mais à force de vouloir le tailler à la mesure d´une seule personne, vous risquerez de dénaturer le régime parlementaire dans sa pratique. Il ne faut pas oublier aussi que le premier ministre dans un régime parlementaire est avant tout un député. Il participe obligatoirement aux élections législatives et surtout à chaque séance des députés, il vient à l´assemblée nationale avec son gouvernement dont les membres mêmes sont souvent élus députés dans les pays démocrtatiques et répondent aux questions des députés de l´opposition qui peuvent s´adresser personnellement à lui ou à ses ministres. Si Faure Gnassingbé ne pourra pas venir s´asseoir et se laisser interpeller à l´assemblée nationale par les députés de l´opposition dans le régime parlementaire, alors qu´il choisisse la fonction du président de la republique avec le pouvoir honorifique si éventuellement il gagnait les élections législatives en 2025 (mais il pourrait les perdre aussi). Ainsi il sera loin des questions chaudes des députés et restera dans son palais, loin des humiliations de la pratique du régime parlementaire. C´est un bon conseil. Mais s´il rêve à tout prix de devenir président du conseil des ministres pour conserver tous les pouvoirs en main, il doit se plier au bon fonctionnement du régime parlementaire. Pour cela, il doit inévitablement organiser les élections législatives en 2025 et y participer lui-même avec l´espoir de les emporter, non seulement sur le plan national mais aussi dans sa localité où il sera candidat. Donc, ce n´est pas gagné d´avance pour lui. Je n´ai jamais vu un pays de type parlementaire où le chef du parti majoritaire ne participe pas lui-même aux élections législatives. Sauf si notre régime est taillé à sa mesure. Dans ce cas, on n´est plus dans un régime parlementaire classique ou moderne mais de type togolais qui va malheureusement servir de mauvais modèle aux autres pays de la sous région. Si vous voulez construire un pays moderne, ne taillez pas la constitution à la mesure d´un homme mais à la mesure du pays lui-même. Ainsi, elle aura une fondation solide et durera pour les générations à venir. Exemple: le régime parlementaire allemand, accouché par la Loi fondamentale, date de 1949 au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Un simple citoyen en Allemagne peut saisir le Tribunal constitutionnel basé à Kalsruhe. Les membres sont tous des grands juristes à l´image du pays. Cette année, l´Allemagne va célébrer 75e anniversaire de cette Loi fondamentale. Aucune modification sensible n´a jamais été faite dans cette Loi fondamentale. La durée du mandat des députés fédéraux au Bundestag qui équivaut aussi à la durée du mandat du chancelier est toujours 4 ans et le mandat du président de la république qui a le pouvoir honorifique est 5 ans. C´est même à l´occasion de cet anniversaire de la Loi fondamentale, symbole de la démocratie allemande que le président français, Emmanuel Macron a effectué hier dimanche un voyage d´Etat de deux jours en Allemagne. Tailler une constitution à la mesure d´un seul homme n´amène jamais un pays à la grandeur. Abandonnez cette culture du culte de la personnalité au Togo. Si nous rêvons d´un Togo rayonnant et solide, il faut changer de mentalité. Le Togo n´appartient pas à un homme mais à tous ses citoyens. On a les mêmes droits et les mêmes devoirs envers ce pays.
Alors, juristes et professeurs de Droit qui sont dans UNIR ou d´UNIR, donnez de bons conseils au chef de l´Etat sur le bon fonctionnement du régime parlementaire. S´il voyage en Europe dans les pays ou ce régime est pratiqué, qu´il pose aussi des questions à ses homologues premiers ministres ou Chancelier, ils lui en diront un peu plus sur son fonctionnement.
Je donne un conseil franc et sincère aussi aux cinq députés de l´opposition qui vont siéger aux côtés des députés de Parti UNIR: avec beaucoup de sincérité, vous ne pouvez pas réussir à faire susprendre la mise en place de ce régime parlementaire mais vous pouvez refuser seulement qu´elle ne soit pas appliqué à cette législature. C´est voté, c´est promulgué et c´est peut-être aussi déjà publié au journal officiel ou le sera incessamment. Si ces trois conditions sont réunies, je ne vois pas ce qui peut empêcher ou arrêter son application. On ne va pas se leurrer. Ce que vous devez exiger pour avoir gain de cause, c´est de demander que cette législature qui vient de commencer, ne soit pas régie par la nouvelle constitution qui a accouché le régime parlementaire car les élections sont faites avant son accouchement et vous êtes des élus de la constitution de 1992 et non de la constitution de 2024. Voilà ce qui sera votre argument. C´est tout. Ne perdez pas votre temps à réclamer ce que vous ne pouvez pas obtenir mais ce qu´on est sûr d´avoir au regard du droit. Le régime parlementaire n´est pas mauvais en soi. Tout le problème au Togo résidera dans le respect de sa pratique et de son bon fonctionnement.
Dr. Christian Spieker
Président de l´association GERMANY IS BACK