Lors d’une conférence de presse le 4 avril 2024, une dizaine de mouvements et associations de la société civile togolaise ont exhorté le chef de l’État à entamer rapidement des discussions préliminaires en vue d’une transition politique. Lecture.
CONFERENCE DE PRESSE DES ORGANISATIONS DE LA SOCIETE CIVILE RELATIVE A LA CRISE POLITIQUE SUSCITEE PAR LA TENTATIVE DE CHANGEMENT DE LA CONSTITUTION TOGOLAISE ET UN NOUVEL REPORT DES ELECTIONS LEGISLATIVES ET REGIONALES
DÉCLARATION LIMINAIRE
Les Organisations de la société civile togolaise répondent aux arguments qui sous-tendent la tentative unilatérale de changement de constitution par le chef de l’État et ses partis politiques satellitaires.
Dans l’exposé des motifs du projet monarchique de changement de constitution tout comme dans les propos des collaborateurs à la cause du chef de l’État, il ressort substantiellement quatre arguments qui souffrent aussi bien du point de vue de leur pertinence que de leur efficacité. Dans leur aventure de conservation de pouvoir à vie, les commanditaires et porteurs du projet funeste prétendent :
Qu’aucune procédure ne prévoit le changement de la Constitution
En réponse, les Organisations de la société civile togolaise viennent rappeler que le Togo ne vit pas en autarcie, et ceci étant, il existe des standards internationaux pour ce qui est de la modification ou du changement de la Constitution et des textes de loi qui régissent la vie en communauté. L’habitude du mépris des principes universels de démocratie et de bonne gouvernance peut effectivement faire perdre le bon sens et la raison.
Ensuite, rien ne justifie l’opportunité de procéder à un changement constitutionnel. Mieux, dans le contexte togolais, la tentative a manifestement exacerbé la tension au sein du peuple et il est clair qu’un changement effectif sera la cause d’une instabilité durable aux conséquences incalculables au regard des problèmes politiques non résolus qui se sont accumulés ces dernières années. Pour rappel et s’agissant de la question d’amendement des lois, les autorités togolaises ont reçu une leçon de pédagogie en la matière lorsqu’il s’est agi de la tentative de modification unilatérale de la loi de 1901 sur la liberté d’association. Le document y relatif contenant les observations des Rapporteurs spéciaux de l’ONU sur les principes de modification de loi a été notifié au gouvernement dans un courrier référencé OL TGO 3/2021 du 13 août 2021. Si donc pour une loi organique, il est recommandé une large consultation des acteurs nationaux, a-t-on besoin d’avoir suffisamment d’intelligence pour comprendre que le changement de la Constitution est une affaire du peuple et doit être précédé d’une large consultation populaire ?
Au demeurant, la situation togolaise ne présente aucune opportunité pour le changement constitutionnel étant donné que la Constitution en vigueur n’a jamais été appliquée dans son essence depuis son adoption. Elle a toujours été manipulée dans l’esprit de maintenir la même famille au pouvoir. En conséquence, sans alternance politique le peuple n’aura pas d’éléments de comparaison.
Ce dont le peuple a besoin aujourd’hui, c’est d’une sécurité pour les populations contre les crimes rituels, contre les assassinats comme celui du colonel Toussaint Madjoulba dont les auteurs ne sont toujours pas identifiés ; d’une lutte véritable contre la torture et la corruption et le détournement des deniers publics ; d’une lutte véritable contre la pauvreté, le chômage et d’un bon pouvoir d’achat de la population ; de la construction des écoles, des hôpitaux, des routes ; de l’eau potable et de l’électricité pour les populations ; du respect de la dignité et de l’intégrité physique des populations contre la torture et les violences à caractères politiques ; des Organismes et institutions crédibles de gestion des élections contre les fraudes électorales ; d’un système judiciaire indépendant ; d’une Commission Nationale des Droits de l’Homme véritablement indépendante et des institutions fortes pour aider au développement du pays. Ceci dit, les togolais ne veulent pas d’un changement de la Constitution ; ils l’ont manifestement exprimé et prouvé ces derniers jours.
Que les « élections présidentielles sont crisogènes au Togo »
Le deuxième argument énoncé par les aventuriers a consisté à dire que les élections présidentielles sont crisogènes au Togo. Sur cet argument, certes les élections présidentielles sont crisogènes comme toutes autres élections au Togo. Pour preuve l’élection législative du parlement en fin de mandat a été organisée sur fond de crise et de tensions politiques dont les conséquences sont encore vivantes avec quatorze (14) militants de l’opposition toujours en détention arbitraire malgré une décision de la Cour de justice de la CEDEAO demandant leur libération immédiate et leurs indemnisations pour les graves violations de leurs droits.
En tout état de cause, il est approuvé que la cause profonde des crises électorales au Togo ne réside pas dans la nature de l’élection, qu’elle soit présidentielle ou non, mais c’est dans le refus délibéré des règles de transparence sur fond de conservation de pouvoir à vie.
En réalisant ce fait, la tentative de changement en cours n’est qu’une tentative de soumettre la constitution à une anomalie qu’on ne veut pas corriger, mais qu’on cherche à formaliser en donnant une forme juridique au mépris même de l’esprit de la loi fondamentale qui consacre l’alternance politique. Quand on souffre des maux de ventre et qu’on utilise un collyre dans les yeux, le ventre ne guérira pas de ses maux. Autrement dit, le changement de constitution pour un régime parlementaire ne sera qu’une transposition des crises relatives à l’élection présidentielle pour les ajouter aux crises dont souffre l’élection législative.
Que les élections présidentielles sont trop coûteuses
Cet argument des prétentieux participe à une stratégie de faux-fuyant. Quand les autorités togolaises ont décidé d’organiser les élections sur fonds propres, c’est parce qu’elles ne voulaient plus être redevables aux partenaires en développement vis-à-vis des exigences de transparence qui accompagnent l’assistance financière en matière électorale. Les partenaires en démocratie sont en mesure de financer l’organisation des élections transparentes et équitables lorsqu’elles sont conformes aux principes démocratiques, aux normes et standards internationaux. En plus, si on veut réellement résoudre le problème financier des élections, pourquoi on ne cherche pas à coupler toutes les élections en une ?
Que le régime parlementaire permet de mieux combattre la corruption
Cet argument est tout aussi léger que les autres, car la lutte contre la corruption est une question qui relève de l’éthique et de la volonté politique. On n’a pas besoin d’un régime parlementaire avant de mettre le rapport de la Cour des comptes sur la gestion des fonds COVID à la disposition du procureur de la République et lui demander d’y donner une suite judiciaire. On n’a pas besoin non plus d’un régime parlementaire pour ouvrir une enquête sur le contrat de l’attribution du port autonome de Lomé pendant devant la justice française.
En conséquence, les organisations de la société civile exigent l’annulation pure et simple du projet suicidaire et des sanctions ciblées à l’encontre des auteurs et commanditaires de la tentative du coup d’État constitutionnel
Les Organisations de la société civile togolaises ont appris la décision du président de la République de surseoir à la promulgation de son projet funeste et suicidaire de changement de la Constitution, qu’il a initié avec ses collaborateurs en violation de la loi fondamentale en vigueur et des standards nationaux, régionaux et internationaux.
En considérant la vive tension suscitée par cette tentative, les Organisations de la société civile font observer que le danger de la situation d’instabilité durable qui se profile à l’horizon n’est pas écarté par la simple mesure d’une relecture de cette loi, mais pour l’intérêt général de la nation et en vue d’éviter encore un écoulement de bain de sang dans le pays, il faut annuler le funeste et suicidaire projet de changement de la Constitution pour des raisons qu’il n’est pas inutile de rappeler :
On ne touche pas à la Constitution avec les mains des « anciens députés » conformément à l’article 52 de la Constitution encore en vigueur. C’est de la forfaiture et de l’abus du pouvoir, infractions pénales au regard du code pénal en vigueur.
Il n’est pas permis de toucher une Constitution la veille d’une élection législative. Alors que le processus électoral est enclenché, le président de la République et ses collaborateurs se sont permis de faire un braquage de la loi fondamentale.
La constitution d’un pays n’est pas un jouet entre les mains du chef de l’État qui la manipule à sa guise alors qu’il est chargé de la protéger en veillant à son application dans les moindres détails pour le bien de tous. De même, la constitution n’est pas non plus un jouet entre les mains des députés, représentants du peuple et non remplaçants du peuple.
Le pays n’appartient pas seulement aux membres du parti au pouvoir pour qu’ils engagent ce qui leur viennent à l’idée sans la moindre considération des autres citoyens qui ont le droit de se prononcer par leur participation la vie du
Fort de ce qui précède, la société civile invite le chef de l’État à faire preuve d’un leadership mature pour être à la hauteur de ses responsabilités, car après dix-neuf (19 ans) d’expérience, l’attitude d’un président de la République devrait surpasser les prétentions suicidaires pour ne pas se rabaisser au niveau du commun des mortels.
Ceci étant, le chef de l’État doit procéder purement et simplement à l’annulation de ce projet suicidaire en mettant fin à cette comédie qui vient jeter un discrédit sur les institutions étatiques à l’instar de l’Assemblée nationale.
Les Organisations de la société civile espèrent que le chef de l’État Faure Essozimna Gnassingbé fera la bonne lecture que cette tentative a eu toutefois le mérite de démontrer ; notamment la forte mobilisation du peuple, montrant de facto le niveau d’impopularité des initiateurs et des partis politiques complices de cette forfaiture.
Sur la décision du report des élections législatives en vue d’une consultation pour changer la Constitution
Le 3 avril 2024, alors qu’il était annoncé l’ouverture de la campagne électorale pour aujourd’hui à 00 heures, alors que les parties prenantes à ces élections se mobilisent déjà pour aller à la rencontre et à la conquête de l’électorat, un communiqué de la Direction de l’Information et de la Communication de la présidence de la République annonçait le report, une fois encore et sine die, des élections législatives et régionales. L’argument avancé est qu’à l’issue d’une rencontre républicaine entre le chef de l’État et le bureau de l’Assemblée nationale, le premier se serait montré attentif à l’intérêt manifesté par les populations à l’endroit de cette importante réforme, et dans un esprit d’ouverture et de dialogue constructif, a encouragé les députés à rester à l’écoute de tous les acteurs concernés, en vue de tenir compte de toutes les contributions tendant à enrichir notre Constitution ; le second a souhaité disposer de quelques jours pour engager de larges consultations avec toutes les parties prenantes de la vie nationale.
La première question est celle de savoir quel rapport existe-t-il entre la tenue d’élections législatives et régionales dont la périodicité est consacrée par la constitution et le projet funeste de révision constitutionnelle ? En réalité, il devient clair et précis que le régime RPT/UNIR et son exécutif veulent opérer un passage en force et finaliser le coup d’État constitutionnel. N’étant plus sûr d’obtenir la majorité qualifiée lors des prochaines législatives engagées pour poursuivre leur tragi-comédie, le gouvernement demande aux « anciens députés » de récidiver dans la forfaiture et l’abus du pouvoir. En somme, Monsieur Faure Gnassingbé veut se servir de cette Assemblée nationale mécanique illégitime pour changer la constitution afin de s’assurer une présidence à vie alors qu’il fait 19 ans en plus des 38 années de son feu père Gnassingbé Eyadema au pouvoir.
Les Organisations de la société civile interpellent donc la communauté internationale sur l’intention clairement affichée de Monsieur Faure Gnassingbé à s’éterniser au pouvoir malgré le refus du peuple. Car ce désir d’opérer un passage en force est un signe précurseur d’un chaos qui se profile à l’horizon au Togo, une situation qui va certainement faire sombrer le pays avec l’écoulement du sang.
La Organisations de la société civile font une ultime interpellation à l’endroit de la communauté internationale, notamment aux États-Unis d’Amérique, à l’Union Européenne, à la République Fédérale d’Allemagne, à la France, à l’Union Africaine et à la CEDEAO à œuvrer afin que la Cour Pénale Internationale (CPI) se saisissent du cas togolais avant qu’il ne soit trop tard, Monsieur Faure Gnassingbé s’étant installé dans le fauteuil présidentiel en 2005 dans un bain de sang avec plus 500 morts selon un rapport de l’ONU.
Les Organisations de la société civile togolaises demandent, de la part des partenaires en développement, un ton de fermeté vis-à-vis du chef de l’État togolais et ses collaborateurs ; seules des sanctions sévères visant leurs personnalités peuvent les faire fléchir, notamment des sanctions qui ciblent leurs avoirs à l’étranger, des interdictions de voyages et des soins dans les pays occidentaux, et la suspension de l’Assemblée nationale togolaise des instances parlementaires régionales, africaines et internationales.
Elles convient les pays occidentaux qui gardent les avoirs des dirigeants togolais à procéder aux sanctions de gel des avoirs et d’interdiction de voyages à l’endroit du chef de l’État, de son conseiller aventurier et ancien journaliste de la Radio France Internationale Alain Foka, de tous les membres du gouvernement et proches collaborateurs du chef de l’État, de tous les députés sortants et de leurs familles.
Il est encore temps que la communauté internationale prenne des mesures pour prévenir un bain de sang plutôt que d’attendre pour venir faire le médecin après la mort. Il est clair que Monsieur Faure Gnassingbé et ses complices comptent sur l’armée togolaise qui n’a pas encore un caractère républicain pour opérer son coup de force constitutionnel. À cet effet, c’est l’occasion pour la CEDEAO de mettre à disposition sa force en attente pour protéger les populations civiles et préserver les acquis démocratiques. Et ce sera la preuve d’une CEDEAO des peuples. Pour rappel, le silence de la communauté internationale en 2020 a eu pour conséquences les décès de Monseigneur Philippe Fanoko Kpodzro et du Dr Gabriel Agbeyome Kodjo. Nous espérons qu’elle ne va plus être complice cette fois-ci en laissant orphelin le peuple togolais.
Pour rappel, les dirigeants togolais par la voix du ministre des affaires étrangères, M. Robert Dussey, ont déclaré devant la tribune des Nations unies qu’ils sont « fatigués » des puissances occidentales tout en oubliant eux, que les Togolais sont tout autant fatigués de leur gouvernance de l’à-peu-près. Il n’est donc pas normal que les mêmes puissances continuent par protéger l’argent détourné au peuple togolais et il est temps de mettre la main sur ces richesses frauduleuses.
Les Organisations de la société civiles appellent les citoyens à user de leurs droits de manifestations pacifiques et demandent aux forces de l’ordre d’assurer la sécurité de leurs concitoyens en s’abstenant de toutes formes d’intimidation et de répression
Au regard des atteintes graves à la liberté de réunion et de manifestation au Togo, les Organisations de la société civile invitent les populations togolaises à s’organiser en urgence pacifiquement dans leurs localités respectives, pour protéger la Constitution de 1992 et appeler à une transition politique. Car, c’est de la résistance du peuple que viendra le respect de sa dignité et de sa considération par les dirigeants.
À cet effet, les Organisations de la société civile demandent aux Forces de sécurité d’œuvrer dans un sentiment républicain pour une fois en observant une stricte neutralité dans le débat politique. Il est du devoir des militaires de préserver la vie et l’intégrité physique des populations civiles lors des opérations de maintien d’ordre, et ce comportement va favoriser à coup sûr la réconciliation entre l’armée et les populations, ce qui va corriger l’image très écorchée qu’a le peuple vis-à-vis de son armée.
D’ores et déjà, les Organisations de la société civile rappellent à tous les militaires qui se permettront d’exécuter les ordres manifestement illégaux qu’ils répondront de leurs actes conformément à l’article 21 de la Constitution togolaise car les temps ont changé et l’heure n’est plus au zèle mais à l’intelligence et à la raison.
La situation du feu colonel Djoua Yoma, du feu Général Assani Tidjani et actuellement du Général Félix Abalo Kadanga devraient mieux leur parler que tout discours, car celui qui fait couler le sang répondra de ce sang.
Le pouvoir d’État est une chose publique et nul ne peut se targuer le droit de s’en approprier. Les forces armées aussi bien que les populations civiles doivent encourager la jeunesse togolaise à s’intéresser à la gestion des affaires de l’État, voire à rêver le fauteuil présidentiel à l’instar du jeune et nouveau président de la république du Sénégal, Son Excellence Bassirou Diomaye Faye.
En tout état de cause, les Organisations de la société civile demandent au chef de l’État d’ouvrir immédiatement des discussions préalables pour une transition politique dont les fondamentaux sont :
la libération immédiate de tous les prisonniers politiques,
le retour des exilés politiques,
la tenue des assises nationales de la refondation.
À l’endroit des communautés religieuses, notamment les chrétiens et les musulmans, les Organisations de la société civile les invitent à continuer par fléchir les genoux afin d’implorer l’intervention du Seigneur afin que la transition politique tant souhaitée par le peuple togolais puisse être une réalité cette fois-ci sans effusion d’aucune gouttelette de sang.
En outre, les Organisations de la société civile interpellent les fonctionnaires togolais à sortir de leur mutisme et prendre l’exemple des syndicats sénégalais qui ont ouvertement montré leurs convictions politiques et leurs aspirations à la démocratie, ce qui a permis à leurs collègues de prendre les rênes du pouvoir aujourd’hui. Tous les fonctionnaires togolais doivent se joindre à la lutte pour la restauration de la démocratie confisquée par le régime actuel.
Les OSC exigent du Chef de l’État, la cessation des actes de terreur, de menaces et d’intimidation sur les leaders d’opinion et de la population ; et demandent la libération immédiate et sans condition du Coordinateur Général du mouvement politique Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK) et ses collaborateurs qui ont fait l’objet d’arrestation et d’enlèvement dans la nuit du 3 au 4 avril 2024.
Enfin, les Organisations de la société civile expriment leur gratitude à la population togolaise pour ses réactions promptes suite à notre communiqué de mise en garde des anciens députés. Nous invitons le peuple togolais à rester mobilisé pour dire un NON catégorique à la tentative de changement de constitution.
Fait à Lomé, le 4 avril 2024
Ont signé :
Daguerre K. AGBEMADOKPONOU (ALCADES)
Monzolouwè B. E. ATCHOLI KAO (ASVITTO)
Christophe Komlan TETE (GAGL)
Bassirou TRAORE (GCD)
Koffi DANTSEY (GLOB)
Poro EGBOHOU (FDP)
Dr Emmanuel H. SOGADJI (LCT)
Me Célestin Kokouvi G. AGBOGAN (LTDH)
Me Raphaël N. KPANDE-ADZARE (MCM)
Issaou SATCHIBOU (MJS)
Bertin BANDIANGOU (SEET)