Mise au ban des juntes militaires. Tous les régimes civils sont-ils donc démocratiques?

L´interview accordée par Monsieur Cellou Dalein Diallo, opposant guinéen en exil, sur la chaîne de télévision France 24, la semaine dernière, nous amène à faire cette petite réflexion. L´interview a tourné autour de ce qu´on appelle la junte militaire, autour du Général Mamady Doumbia, au pouvoir depuis septembre 2021 en Guinée, après avoir renversé l´ancien président Alfa Condé. Selon un accord passé entre les autorités putschistes à Conakry et la CEDEAO, la transition devrait prende fin le 31 décembre 2024. Mais selon des déclarations du premier ministre de la transition, il y a quelques mois, ce calendrier ne pourrait pas être respecté, et il pourrait y avoir glissement vers 2025. En sa qualité de citoyen guinéen, d´ancien premier ministre et d´opposant, c´est bien le droit de Monsieur Diallo de s´exprimer pour donner son point de vue sur ce qui se passe dans son pays. Et ce n´est pas une surprise si Monsieur Cellou Dalein Diallo répète la musique connue dans toute l´Afrique, partout où il y a eu changement de régime politique par la force des armes. L´ancien premier ministre estime que Mamady Doumbia et ses amis de la transition n´auraient pas l´intention de quitter le pouvoir en organisant des élections comme prévu, fin de l´année 2024. En d´autres termes, l´actuel maître de Conakry ne voudrait pas organiser des élections le plus tôt possible pour que le pouvoir revienne aux civils.

Que le lecteur nous comprenne bien. Nous n´avons pas l´intention de faire l´apologie des coups d´état. Mais nous n´avons pas, non plus, l´intention de taire les situations de gouvernances politiques insupportables, désastreuses, sur tous les plans presque, qui ont cours un peu partout sur le continent noir, et qui conduisent, quelquefois, inévitablement, à la prise du pouvoir par la force. Les coups d´état ne sont possibles que dans nos pays encore au stade des tâtonnements démocratiques. La prise du pouvoir politique par la force n´est donc pas possible là où l´alternance pacifique au sommet de l´état est assurée par des élections régulières crédibles. Personne ne peut donc s´imaginer un coup d´état en France, en Allemagne ou en Grande-Bretagne, où d´éventuels auteurs d´une prise de pouvoir par la force seraient considérés comme des aliénés mentaux.  Mais dans la plupart de nos républiques bananières en Afrique, où le pouvoir politique sert tout d´abord à l´enrichissement personnel illicite, à la corruption, aux règlements de comptes de toutes sortes, politiques ou tribalo-ethniques, un coup d´état pourrait malheureusement apparaître comme un mal nécessaire, pas forcément condamnable, avant de savoir ce que les auteurs veulent en faire. Oui, ce qui est important dans ce débat, c´est ce que le militaire putschiste veut faire de son putsch. Le nouvel arrivant a-t-il l´intention de profiter de la tribune du pouvoir politique pour ne jamais le quitter ? A-t-il de bonnes intentions pour son pays, parce que révolté par la situation catastrophique qui y règnerait et qui l´aurait poussé à agir? Voilà les bonnes questions qu´il faut poser et attendre pour voir ce que sera la suite.      

Pour rester sur l´exemple guinéen, nous ne croyons pas, qu´avant le coup d´état de Mamady Doumbia contre Alfa Condé, en septembre 2021, la Guinée était un paradis démocratique et économique. Même chose pour le Gabon; déposé par le général Brice Oligui Nguéma le 30 août 2023, Ali Bongo, même s´il avait rouspété, habitué qu´il était, comme beaucoup d´autres, dans une Afrique où on quitte rarement le pouvoir par la grande porte, devrait l´avoir senti comme un soulagement, vu son état de santé plus que défaillant. Avant de mourir le 12 novembre 2020 à 73 ans, Jerry John Rawlings, capitaine d´aviation de l´armée de l´air de son pays, révolté par la situation politique plus que délétère au Ghana, fomenta en 1979 un coup d´état. Non satisfait de la gestion du pays par les autorités politiques auxquelles il avait remis le pouvoir, il revint en 1981 pour un deuxième putsch. Il restera président du Ghana jusqu´en 1990 et sera élu deux fois à l´ère du multipartisme et restera au pouvoir jusqu´en 2000. Malgré quelques imperfections, tout le monde s´accorde à dire que Rawlings avait réussi à remettre le Ghana sur les bons rails. Si nous avons pris la peine de faire tous ces développements, c´est pour arriver à la conclusion que cette façon de voir les choses, s´agissant de la question des militaires au pouvoir, arrivés par coup d´état, et s´agissant de la sacro-sainte théorie, imposée de l´extérieur et répandue en Afrique, selon laquelle le pouvoir politique devrait revenir uniquement aux civils, et que les militaires arrivés au pouvoir par la force des choses, devraient vite faire pour libérer le plancher, serait dépassée dans une Afrique qui cherche encore sa voie, où donc le concret, et non les théories, devrait conpter.

Si aujourd´hui la Chine est la deuxième puissance mondiale derrière les USA, ce n´est pas à cause de ses prouesses démocratiques. Il n´y a pas d´élections régulières, mais pourtant ce pays qui ne pesait pas grand-chose sur le plan mondial au debut des années 80, se fait aujourd´hui respecter grâce à son développement économique. Les Chinois ont du travail et viennent en vacances en Europe pour dépenser beaucoup d´argent. Il y a quelques semaines le chancelier allemand y était en visite, et les dirigeants chinois discutent d´égal à égal avec les Occidentaux grâce à leur poids économique, pendant que l´Afrique noire, surtout, reste à la traîne depuis plus de 60 ans. Si l´Afrique, dans sa grande majorité, jusqu´à aujourd´hui, n´est pas parvenue à avoir la démocratie, comme elle se pratique en occident, elle pourrait au moins chercher le développement pour nourrir ses populations et réduire la pauvreté. Pourquoi alors un militaire, s´il est un grand patriote, s´il a la volonté de quitter les sentiers battus pour développer son pays, ne pourrait-il pas rester au pouvoir aussi longtemps que possible, si le peuple le désire? Continuer à tenir ce langage qui consiste à insister sur le retour du pouvoir politique aux civils, alors que nos dirigeants civils, comme militaires, depuis les indépendances, dans beaucoup de pays, ont laissé de mauvais souvenirs, devrait être repensé. Continuer à tenir un tel langage voudrait surtout dire qu´il suffit d´avoir un régime civil pour parler de démocratie et de bonne gouvernance. Les Togolais, par exemple, savent mieux que la plupart des autres Africains que ce n´est pas vrai. Au Togo nous avons certes un civil au pouvoir, mais comment y était-il arrivé et comment s´y maintient-il? Adossé à l´armée tribale, ou même familiale, Faure Gnassingbé fait tout ce qu´il veut des textes de la république et des citoyens du pays pour lesquels il n´a aucun respect. Il fait manipuler les élections pour ne jamais quitter. Les violations des droits de l´homme faites de plusieurs dizaines de prisonniers politiques, d´exilés et d´assassinats politiques sont commises et continuent de l´être en toute impunité. Voilà un régime à visage civil qui fait voir de toutes les couleurs à ses concitoyens.

Pour terminer, nous ne disons pas, dans le cas guinéen, que le Général Mamady Doumbia peut rester au pouvoir comme il veut, mais nous avons profité de l´interview sur France 24 et de son cas pour thématiser le problème. Que ce soit en Guinée, au Gabon, au Burkina-Faso, au Mali ou au Niger, nous pouvons dire que les cinq (5) putschistes avaient leurs raisons en fomentant des coups d´état pour prendre le pouvoir. Mais que vont-ils, que veulent-ils en faire? C´est la grande question, et c´est là où tout le monde les attend. Dans ces cinq (5) pays cités plus haut, les nouveaux dirigeants ont les mêmes devoirs envers leurs peuples, comme tous les autres chefs d´état de la sous-région et de toute l´Afrique: la bonne gestion des ressources, la recherche du bonheur pour tous, le respect de la vie et de la dignité humaine, synonyme de respect des droits de l´homme. En d´autres termes, tout régime politique, qu´on l´appelle junte militaire ou autre, en Afrique de l´ouest ou ailleurs sur le continent noir, qui compte déjà dans son bilan, des assassinats, des prisonniers et des réfugiés politiques, serait sur une mauvaise voie et devrait se ressaisir.

Samari Tchadjobo

Allemagne

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