Le journalisme d’investigation et ses obstacles dans les pays d’Afrique francophone

Les médias jouent un rôle fondamental dans le processus de démocratisation et de l’instauration de l’Etat de droit. Cependant, il règne dans la plupart des pays d’Afrique francophone une démocratie de façade marquée par le verrouillage des différentes institutions, la longévité au pouvoir, la violation massive des droits de l’homme, la corruption, l’enrichissement illicite, etc. A cela, s’ajoutent, ces dernières années, des régimes militaires issus des coups d’Etat. Dans ces conditions, les médias, même s’ils existent, ne sont pas autorisés à faire entendre des voix dissidentes, des démarches alternatives.

            Si en temps normal, les médias des pays d’Afrique francophone sont confrontés à ces infortunes, la situation devient plus compliquée quand il s’agit du journalisme d’investigation. Tous les régimes autoritaires ont horreur des journalistes d’investigation qui cherchent à aller au-delà de ce qui a été dit ou de ce qui est montré. Ainsi, il se dresse devant ces journalistes, une kyrielle d’obstacles : lourdeur administrative et rétention de l’information, harcèlement judiciaire, intimidations, menaces et assassinats, tentative de corruption, asphyxie financière, pression de la famille, pesanteurs culturelles.

            Cette culture de la peur et du harcèlement fait que peu de professionnels des médias des pays d’Afrique francophone s’intéressent au journalisme d’investigation. Cela l’est davantage chez les femmes qui sont déjà moins nombreuses à embrasser la carrière de journalistes.

            Nous essaierons d’aborder, de façon globale, la question de la liberté de presse dans ces pays avant de nous appesantir sur les obstacles au journalisme d’investigation, leurs conséquences et quelques pistes de solutions.

  1. Etat des lieux

            Le Togo, le Tchad, le Cameroun, le Gabon, la République du Congo ou le Congo-Brazzaville et le Djibouti sont les pays d’Afrique francophone où règne un simulacre de démocratie marquée par des violations massives des droits de l’homme, des élections truquées, la longévité au pouvoir, la succession dynastique au pouvoir, le verrouillage des institutions, la corruption, etc. S’ajoutent à cette liste des pays où des régimes démocratiques sont, ces dernières années, emportés par des coups d’Etat militaires : Mali, Guinée et Burkina Faso.

            Tous ces pays, s’inscrivant dans la droite ligne de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), ont consacré, dans leur constitution, la liberté de presse. « La liberté de presse est reconnue et garantie par l’État. Elle est protégée par la loi. Toute personne a la liberté d’exprimer et de diffuser par parole, écrit ou tous autres moyens, ses opinions ou les informations qu’elle détient, dans le respect des limites définies par la loi. La presse ne peut être assujettie à l’autorisation préalable, au cautionnement, à la censure ou à d’autres entraves. L’interdiction de diffusion de toute publication ne peut être prononcée qu’en vertu d’une décision de justice », dispose l’article 26 de la Constitution togolaise.

Dans le préambule de sa constitution, le peuple camerounais « affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, la charte des Nations Unies, la charte africaine des droits de l’homme et des peuples et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées ». Et parmi ces droits fondamentaux, il y a la liberté de communication, la liberté d’expression, la liberté de presse.

Au Djibouti, la liberté de presse est actée dans les deux premiers aliénas de l’article 15 de la constitution : « Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume et l’image. Ces droits trouvent leur limite dans les prescriptions des lois et dans le respect de l’honneur d’autrui ».

            Ces dispositions constitutionnelles et instruments internationaux et régionaux relatifs à la liberté de presse et de communication auxquels ces pays sont parties, sont souvent complétés par des codes de la presse et de la communication qui régissent la libre expression dans le cadre des activités de l’information et de la communication ainsi que l’exercice desdites activités et qui fixent les règles d’établissement des sociétés de presse. En plus, ces pays se sont inspirés du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) français devenu depuis 2022 Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) après sa fusion avec la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI), et ont mis en place des institutions de régulation des médias qui sont censées être indépendantes vis-à-vis « des autorités administratives, de tout pouvoir politique, de toute association et de tout groupe de pression »1.

            Dans le même temps, les professionnels des médias eux-mêmes se sont organisés en adoptant des chartes ou des codes de déontologie. Ils ont également institué des tribunaux des pairs qui ont pour mission principale de garantir le respect des règles d’éthique et de déontologie dans les médias.

            Du point de vue législatif, réglementaire et institutionnel, les conditions sont réunies dans ces différents pays pour la jouissance de la liberté de presse qui reste l’un des principes fondamentaux des systèmes démocratiques. Mais dans les faits, la situation est bien différente. Démocratie de façade induit liberté de presse de façade. Les dirigeants qui s’accrochent au pouvoir et qui n’hésitent pas à réduire à la portion congrue les opposants, persécutent régulièrement les journalistes, les obligeant à s’autocensurer. La balance, faisant référence à l’idée d’équilibre et de mesure et symbole de la justice, se transforme en épée de Damoclès suspendue au-dessus des journalistes.

Les institutions de régulation chargées de garantir et d’assurer la liberté et la protection de la presse et dont l’indépendance est proclamée, deviennent aussi des bras répressifs de ceux qui sont au pouvoir. Par exemple, le 20 juin 2019, la Haute autorité de la communication (HAC) du Gabon a sanctionné le journal Fraternité d’une interdiction de parution d’un mois pour un article publié le 13 juin, intitulé : « Qui dirige le Gabon? ». Ce qui avait fait réagir Reporters Sans Frontière (RSF) qui avait appelé à la réforme de la HAC, « bourreau des médias gabonais »2.

Au Cameroun, le Conseil national de la communication (CNC), organe en charge de la régulation des médias, a infligé, le 02 juin 2023, une série de sanctions aux médias ainsi qu’à des journalistes pour « prolifération des discours à caractère haineux et séditieux ». La sanction la plus lourde concernait la radio privée « Voice Radio » qui a écopé d’une interdiction définitive d’activités3.

« Depuis le début de l’année, la presse privée togolaise, notamment des journaux, ont payé cher leur désir de liberté d’informer en fouillant des dossiers dont les contenus ont attiré la foudre de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC), le Service central de recherche et d’investigation criminelle (SCRIC) de la gendarmerie nationale ainsi que de la Justice », s’était indigné, le 09 avril 2021, Media Foundation for West Africa (MFWA) dans une déclaration intitulée « La presse togolaise entre les griffes de la gendarmerie, de la HAAC et de la justice »4.

            Des entraves au libre exercice du métier existent également dans les pays qui ont connu récemment des coups d’Etat militaire. Ces hommes en treillis qui captent le pouvoir et qui annoncent qu’ils sont là pour « restaurer » la démocratie, ne tolèrent pas des voix dissonantes. Tous les médias qui ne vont pas dans la voie qu’ils ont tracée, font l’objet de menaces et de harcèlements. Du Mali au Burkina Faso en passant par la Guinée, la situation reste la même. Le 02 juin 2022, la Haute Autorité de la communication (HAC) du Mali a suspendu Joliba TV News pour des « propos diffamatoires » contre la junte au pouvoir5. En Guinée, le 23 mai2023, les radios privées ont éteint leurs émetteurs, les télévisions ont seulement diffusé une image avec une inscription « presse en danger » en vue de protester contre la restriction de certaines plateformes sur internet5.

Le 22 mars, le président du Burkina Faso, le Capitaine Ibrahim Traoré, a qualifié les défenseurs des droits humains et journalistes de « terroristes qui communiquent pour les terroristes combattants »7.

            Nonobstant l’existence des textes consacrant la liberté de presse dans ces différents pays, les médias sont donc très surveillés, persécutés, asphyxiés financièrement, harcelés sur le plan judiciaire avec des parodies de procès à l’issue desquels les journalistes sont envoyés en prison ou condamnés à de lourdes peines d’amendes. Dans ce contexte déjà délétère, le journalisme d’investigation est vu d’un mauvais œil.

  1. Obstacles au journalisme d’investigation

            Le journalisme d’investigation qui cherche à accroître la transparence des politiques et autres figures publiques et institutions et qui les amène à rendre des comptes, peine à prendre son envol dans les pays francophones cités plus haut. Les journalistes d’investigation font face à plusieurs obstacles : rétention de l’information et lourdeur administrative, harcèlement judiciaire, intimidations, menaces et assassinat, tentative de corruption, asphyxie financière, pression de la famille et pesanteurs culturelles.

II.1- Rétention de l’information et lourdeur administrative

            L’accès à l’information est très important pour les journalistes d’investigation. Cela lui permet de bien faire son travail et de produire un travail professionnel exempt de tout reproche. Mais, la pratique journalistique est toujours confrontée au difficile accès à l’information dans ces pays.

            En effet, il existe en Afrique plusieurs textes qui consacrent le droit à l’information en dehors de l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et des constitutions nationales. On peut citer : l’article 9 de la Chartre africaine des droits de l’homme et des peuples, l’article 19 de la Chartre africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, l’article 9 de la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption, les articles 10 et 11 de la Chartre africaine de la jeunesse, l’article 6 de la Chartre africaine sur les valeurs et les principes du service public et de l’administration et l’article 3 de la Chartre africaine de la statistique. En 2017, 21 pays d’Afrique ont adopté des lois sur l’accès à l’information. Il s’agit de : l’Angola, le Burkina Faso, l’Ethiopie, la Guinée, la Cote d’Ivoire, le Kenya, le Liberia, le Malawi, le Mozambique, le Niger, le Nigéria, le Rwanda, la Sierra Léone, l’Afrique du Sud, le Sud Soudan, le Soudan, la Tanzanie, le Togo, la Tunisie, l’Ouganda et le Zimbabwe8. Comme on peut le constater, parmi les six pays où la longévité au pouvoir est la norme, seul le Togo s’est doté d’une loi portant liberté d’accès à l’information et à la documentation publiques.

            Mais en réalité, la ratification de ces instruments internationaux et l’adoption de cette à  loi par certains pays d’Afrique francophone ne visent qu’à dire que la démocratie est en marche et à être mieux placés dans les rapports. Au Togo par exemple, l’accès à l’information dans l’administration publique n’est pas aisé. Présidence de la République, ministères, institution de la République, sociétés d’Etat, etc. rechignent à répondre aux correspondances des organes de presse malgré plusieurs relances. Et s’ils décident de le faire, ils renvoient tout simplement le média vers d’autres personnes qui, plusieurs mois plus tard, diront qu’elles continuent d’attendre les instructions de leur supérieur hiérarchique. « Je suis tenu par l’obligation de réserve ; je ne peux rien vous dire sans l’autorisation de ma hiérarchie », dit-on souvent aux journalistes dans les administrations. Et quand ce n’est pas l’obligation de réserve, les fonctionnaires avancent l’argument de secret professionnel.

Toutes ces manœuvres n’ont qu’un but : retenir l’information et décourager ces « empêcheurs de tourner en rond ». Ainsi, le journaliste, n’ayant pas reçu les informations pouvant l’aider dans l’évolution de son enquête, finit par abandonner ou produire des articles truffés de conditionnels et de devinettes.

            La lourdeur administrative est la chose la mieux partagée dans nombre des pays africains. La lenteur dans les réponses aux correspondances, le retard dans la délivrance des documents administratifs, la concentration des pouvoirs de décisions, le manque de matériels de travail, la démotivation, etc., sont au rendez-vous dans les administrations. Il peut arriver que la lettre d’un journaliste disparaisse du circuit et qu’on lui demande de déposer une autre. Parfois, l’accès à l’administration ait interdit au journaliste en dépit de la présente de la carte de presse. « Nous avons reçu des instructions de ne pas vous laisser. On vous appellera dès que la réponse à votre lettre sera prête. Ne venez plus nous gêner », peuvent se permettre de dire des vigiles.

II.2- Harcèlements judiciaires

            Les journalistes surtout ceux d’investigation restent soumis à un véritable harcèlement judiciaire. Dans ces pays où il y a un seul homme fort et des institutions faibles, les affaires concernant les journalistes et les opposants au régime sont rapidement jugées. On ne perd pas le temps. Pendant que des présumés auteurs de détournement des deniers public se la coulent douce, les journalistes sont inquiétés et condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement et/ou d’amendes.

            On peut citer le cas du journaliste togolais d’investigation et directeur de publication du bihebdomadaire L’Alternative, Ferdinand Ayité. Après avoir été condamné à 4 millions d’amendes (8 000 dollars) pour avoir révélé une affaire de détournement de fonds dans le secteur pétrolier togolais, fait la prison en décembre 2021, en compagnie de Joël Egah, directeur de publication de l’hebdomadaire Fraternité – celui-ci est décédé quelques semaines après leur remise en liberté provisoire -, suite à une plainte déposée par deux ministres pour «outrage à l’autorité » et « propagation de propos mensongers » après une émission animée sur YouTube, M. Ayité a été contraint à l’exil début mars 2023, de même que le rédacteur en chef du journal Joël Kouwonou. Bien que les journalistes Ayité et feu Egah aient, à la demande des ministres, présenté des excuses publiques, ceux-ci ont réactivé l’affaire. Dans un procès expéditif le 17 mars 2023, M. Ayité et son rédacteur en chef, Joël Kouwonou, sont condamnés par contumace à 3 ans de prison ferme et à 3 millions de FCFA (6000 dollars) d’amende chacun. Un mandat d’arrêt international a été également lancé contre eux. Depuis, le journal a cessé de paraître. « La lourde condamnation des deux journalistes, qui avaient tenu en 2021 des propos critiques envers deux ministres, porte un coup terrible à une liberté d’expression déjà au plus bas », a déploré Fabien Offner, Chercheur au bureau d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et centrale9.

            Il y a également le journaliste congolais, Raymond Malonga, dessinateur de presse et directeur de publication de Sel-Piment, qui a été appréhendé le 02 février 2021 alors qu’il était hospitalisé pour une crise de paludisme dans une clinique située près de son domicile à Brazzaville. Il était poursuivi pour de faits présumés de diffamation.

            En Djibouti, Maydaneh Abdallah Okieh, journaliste pour le site d’informations La Voix de Djibouti, a été victime de harcèlement judiciaire entre 2013 et 2015. Accusé d’« outrage à un officier de police » et de « diffamation de la police » pour avoir posté sur Facebook des photos de la répression de manifestations pacifiques, il a purgé cinq mois de prison ferme du 15 mai au 19 octobre 2013 alors qu’il avait été initialement condamné à 45 jours de détention. Il a été également condamné à payer une amende de 2 084 000 francs Djibouti (11 740 dollars) à titre de dommages et intérêts au profit d’un lieutenant-colonel de police. N’ayant pas pu s’acquitter de cette amende, il a été arrêté 18 mai 2015 par la police à Djibouti-ville pour refus d’exécution judiciaire, puis libéré par le parquet le 20 mai 201510.

            Toujours au Togo, les plaintes contre des journaux d’investigation et critiques vis-à-vis du pouvoir s’accumulent devant les tribunaux même si, en amont, ils ont fait les recoupements nécessaires. Au cours de cette année 2023, le quotidien privé Liberté comparaît devant la justice dans quatre affaires différentes alors que le site d’information Togo24.business.site a été condamné, le 07 juin 2023, à 253 millions francs CFA (506 000 dollars) au titre de dommages et intérêts et à une amende de 1 million (2 000 dollars) pour avoir révélé une affaire de falsification des tickets vendus aux touristes visitant les sites touristiques de la ville de Kpalimé, située à 120 km au nord-ouest de Lomé.

II.3- Intimidations, menaces et assassinats

            L’hostilité envers les journalistes d’investigation est une réalité dans les pays francophones. Les manœuvres d’intimidation sont directement exercées soit par les institutions de régulation des médias qui brandissent le couperet des sanctions, soit par les forces de défense et de sécurité. Des journalistes sont enlevés par des hommes en tenue civile ou gardés à la suite d’une convocation avant de les soumettre à de longues auditions. L’objectif, c’est de les terroriser afin qu’ils cessent de fouiner dans les affaires touchant ceux qui exercent le pouvoir.

            Au Djibouti, le 05 juin 2020, la police a arrêté dans la ville d’Ali Sabieh, dans le sud, Massim Nour Abar, journaliste à la station de radio et site Internet d’actualité basé à Paris, La Voix de Djibouti, alors qu’il se préparait à couvrir des manifestations dans la ville11. Le même jour, Osman Yonis Bogoreh, un autre journaliste travaillant à La Voix de Djibouti, s’est caché lorsque la police est arrivée sur le lieu de la manifestation qu’il couvrait dans la capitale. Le 7 juin, la police a interpellé Mohamed Ibrahim Waiss, un 3ème journaliste de La Voix de Djibouti et correspondant de Reporters sans frontières (RSF) alors qu’il couvrait les manifestations. Les autorités djiboutiennes ont libéré Abar le 8 juin et Waiss le 10 juin, tous deux sans inculpation. Quant à Bogoreh, il était obligé de se cacher pendant plusieurs jours.

            Les intimidations et les menaces peuvent également provenir de l’entourage immédiat des gouvernants ou de leurs militants. Comme c’est le cas actuellement au Mali et au Burkina Faso. A l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse 2023, Reporters sans frontières et 29 médias et organisations12 ont rendu publique une lettre ouverte pour demander la fin des atteintes à la liberté de la presse au Mali et au Burkina Faso.

Au Mali, les pressions et les intimidations envers les journalistes et les leaders d’opinion se multiplient. Le 20 février 2023, la Maison de la presse de Bamako a été mise à sac. Le 13 mars, le chroniqueur de radio Mohamed Youssouf Bathily, plus connu sous le sobriquet de Ras Bath, a été inculpé et écroué pour avoir dénoncé « l’assassinat » de l’ex-Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga. Le 15 mars, Rokia Doumbia, dite « Rose vie chère », a été arrêtée à son tour pour avoir communiqué sur la hausse des prix et « l’échec » de la transition. Le 6 avril, le journaliste Aliou Touré a été enlevé par des hommes armés et cagoulés et n’a été retrouvé libre que quatre jours plus tard. La presse internationale est loin d’être épargnée.

La situation des journalistes, au Burkina Faso, est devenue tellement critique que même l’institution chargée de la régulation s’en émeut. Dans un communiqué publié le 29 mars 2023, le Conseil supérieur de la communication (CSC) « constate avec regret la récurrence des menaces proférées à l’endroit d’organes de presse et d’acteurs des médias ». Le CSC demande aux autorités burkinabè de « prendre les mesures idoines pour assurer la sécurité des médias et des journalistes dans l’exercice de leur profession ». De son côté, Volker Türk, le Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, se dit « profondément troublé » par la situation des médias au Burkina Faso.

Dans ce climat empesté, le meurtre des journalistes n’est pas à exclure. Le cas le plus récent qui continue d’émouvoir est l’assassinat, le 17 janvier 2023, dans des conditions cruelles et dégradantes du journaliste camerounais d’investigation, Arsène Salomon Mbani Zogo, alias Martinez Zogo. Toujours au Cameroun, dans la nuit du 7 mai 2023, Anye Nde Nsoh, journaliste à Dream FM et responsable régional du journal d’expression anglaise The Advocate, a été assassiné à Bamenda, dans le Nord-Ouest, l’une des deux régions anglophones du pays en proie à un conflit meurtrier depuis 2016. Bien avant, le Révérend-Père Jean-Jacques Ola Bébé, prêtre de l’église orthodoxe du Cameroun, journaliste, animateur radio, a été assassiné dans la nuit du 2 février 2023 au quartier Emombo à Yaoundé, pas très loin de son domicile. Trois meurtres qui ont plongé la plupart des journalistes du Cameroun et même d’Afrique francophone dans la peur.

II.4- Tentative de corruption

Dans la quête de l’information, le journaliste est confronté à des tentatives de corruption. Des personnes ne voulant pas que leur nom apparaisse dans les médias, fait tout pour écourter l’enquête. Elle propose au journaliste d’importantes sommes d’argent ainsi que des contrats publicitaires déguisés contre son silence. Parfois, l’offre est tellement alléchante que le journaliste, mal payé, est tenté d’accepter. Dans le cas où le journaliste ne semble pas intéressé par ce marché, c’est son directeur qui intervient et qui négocie avec la source d’information.

Les journalistes qui occupent une place de choix dans l’éradication de cette perversion qu’est la corruption, en deviennent parfois ses acteurs. Beaucoup s’accommodent du phénomène comme on l’explique ici : « Entendre parler, dans le contexte médiatique africain, de journalistes qui reçoivent une « gratification » de la part de leurs sources ne suscite pas un grand étonnement. Internationalement, ce phénomène est appelé « journalisme aux enveloppes kraft ». Et la très grande variété de termes forgés pour nommer cette pratique est le signe de son existence généralisée sur le continent. Les pays anglophones africains l’appellent par euphémisme bonus journalism, oiling hands et cocktail journalism ». (Lodamo et Skjerdal, 2011, P.77).

Dans plusieurs pays d’Afrique francophones, cette pratique prend le nom de « gombo ». Au Togo, le « communiqué final » est la gratification que prennent les journalistes auprès des organisateurs d’événement au titre des frais de déplacement, le « bitos » (business) qui consiste à monter une affaire de toutes pièces pour avoir de l’argent, le « guichet fermé », c’est-à-dire que tous les articles ont été vendus avant la parution du journal.

Selon le Baromètre des médias africains (BMA) du Cameroun, la corruption dans les médias « s’aggravait malgré les progrès réalisés dans d’autres domaines, tels que l’accès à la formation et la sensibilisation aux normes professionnelles » (FES, 2021, P.27).

Il existe également une catégorie de journalistes qui a fait de la corruption un hobby. S’ils ont des informations sur une personne fortunée par exemple, ils font, dans un premier temps, un petit article avec un titre pétaradant. Ces genres d’articles se terminent souvent par : « Nous y reviendrons avec beaucoup plus de détails dans la prochaine parution », « Affaire à suivre avec des éléments croustillants », « Bon à suivre », etc. Puis, l’affaire est classée et on n’en entendra plus parler. La personne visée a mis la main à la poche et il n’y aura plus de suite au premier article.

Ces mêmes journalistes usent fréquemment du chantage pour soutirer de l’argent aux citoyens. Ils les appellent pour leur dire qu’ils ont des informations sur eux et pour éviter que l’affaire ne soit ébruitée, ils sont sommés de verser une telle somme d’argent. Au Togo, il y a quelques années, un journaliste aurait fait chanter un homme d’affaires. Excédé par les coups de fil incessants et des menaces à peine voilées, celui-ci a décidé de le recevoir dans son bureau. Le journaliste a mis sa meilleure veste et s’est transporté sur les lieux. Après avoir échangé les civilités, le journaliste a vu surgir d’un bureau deux policiers. Pris la main dans le sac, le journaliste était face à deux options : aller en prison pour chantage et escroquerie ou prendre quelques fessées pour être mis en liberté. Il aurait préféré prendre les coups afin que l’affaire ne soit pas sortie du bureau.

Une autre stratégie pour ces journalistes, adeptes du gain facile, consiste à surfer sur le succès des journaux d’investigation pour monter des marchés dans leur dos. Ils prennent contact avec un homme d’affaires ou un ministre et lui signifient que tel journal bien respecté s’apprêterait à publier un dossier sur lui. Pris de peur, ce dernier lui remet de l’argent afin qu’il puisse empêcher la publication de l’information. Des sous qui n’arrivent jamais au journal supposé publier des informations à charge.

Personnellement, j’ai vécu un cas en 2010. Je reçois un appel anonyme et à l’autre bout du fil, c’est un ministre, voix toute tremblante, qui me dit qu’il a appris de la bouche d’un journaliste que notre journal se préparerait à diffuser des informations compromettantes sur lui et qu’il me supplie de surseoir à toute publication, le temps qu’il revienne d’une mission à l’intérieur du pays pour donner sa version. Après avoir réussi à avoir l’identité de du journaliste, j’ai rassuré le ministre en lui disant que nous n’avons aucun dossier à publier sur lui. Le confrère qui était derrière cette manœuvre, n’avait jamais pensé que le ministre allait directement nous appeler.

Ces comportements jettent du discrédit sur l’ensemble de la corporation des journalistes et compliquent le travail des journalistes d’investigation.

II.5- Asphyxie financière

Les annonces publicitaires permettent aux médias de générer des revenus conséquents afin de supporter les coûts de production. Mais dans les pays francophones où tout le monde est tenu de regarder dans la même direction, les médias qui font dans l’investigation sont privés de publicité. Les sociétés d’Etat ainsi que celles appartenant à des privés ne vont que vers les organes de presse proches du parti au pouvoir.

« Il y a des sociétés publiques ou parapubliques qui font des publicités et à chaque fois que nous nous présentons, on nous dit que notre journal n’est pas sur la liste. Et lorsque nous avons cherché à comprendre, il s’est avéré que c’est parce que nous sommes trop critiques. Il en est de même pour certains opérateurs économiques privés, qui ont peur de faire passer la publicité dans des journaux trop critiques. Parce qu’ils risquent de se retrouver dans le viseur du fisc ou des contrôleurs publics »13, témoigne Ferdinand Ayité, directeur de publication du bihebdomadaire togolais d’investigation.

L’asphyxie financière passe aussi par le redressement fiscal des entreprises de presse déjà mal en point sur le plan financier. Cette répression fiscale contre les médias a fleuri au Cameroun au début des années 2000. Des agents du Trésor public ont mis sous scellés les bureaux de plusieurs organes de presse et exigé le paiement immédiat des impôts de plusieurs milliers de dollars. (Atenga, 2005, P.33).

Le 09 juin 2023, les locaux du journal burkinabé d’investigation L’Évènement ont rouvert après une semaine de fermeture par les autorités pour contentieux fiscal. Les services des impôts réclamaient au média le paiement d’une dette de 20 millions de francs CFA (40 000 dollars). « Il est difficile de ne pas faire le lien entre le travail de ce journal d’investigation et sa fermeture manu militari par les impôts. […] L’instrumentalisation du fisc et des services publics en général pour faire taire les voix discordantes ou pour mettre au pas les empêcheurs de tourner en rond est une entreprise dangereuse et contreproductive dont il faut se départir », a déploré la Société des éditeurs de presse privée (SEP) dans un communiqué relayé par Le Monde14.

Les amendes record que la justice inflige aux organes de presse ne visent qu’à les asphyxier. En 2019, les journalistes tchadiens, Martin Inoua Doulguet et Abderamane Boukar Koyon, respectivement directeurs de publication des journaux privés Salam Info et Le Moustik, ont été condamnés à payer une amende de 1 million de francs CFA (2 500 dollars) chacun à l’Etat, et 20 millions de francs (40 000 dollars) au titre de dommages et intérêts15. Les deux publications ont fini par disparaître de l’espace médiatique tchadien.

Au Congo-Brazzaville : le journaliste Raymond Malonga a été condamné à six mois de prison ferme et 30 000 000 FCFA d’amende (60 000 dollars)16.

II.6- Pression de la famille et pesanteurs socioculturelles

            Pour beaucoup de familles africaines, le journalisme est un métier à haut risque. Elles restent sur le qui-vive, prêtes à rappeler à un des leurs journalistes de faire doucement et de ne pas vouloir tout dire. « Ferme tes yeux sur certaines choses. Ce n’est pas à toi de sauver le pays », ressassent-elles. Si dans l’exercice de la profession, quelques soucis surgissent, cette pression devient tellement intense que le journaliste est tenté de tout laisser tomber. Parfois, ce sont des proches parents qui gagnent quelques prébendes grâce à leur accointance avec ceux qui ont pris en otage les pays, qui sont des promoteurs de ces pressions qui sont exercées sur des journalistes. Ils entretiennent à dessein un climat de peur dans l’entourage immédiat des journalistes d’investigation. De temps en temps, ils confient aux parents qu’ils ont appris que certains individus se proposeraient d’attenter à la vie de leur fils et qu’il fallait l’inviter à la retenue.

            En septembre 2012, j’étais sur un sujet d’investigation dans le secteur des ressources minières. J’ai fait tous les recoupements nécessaires. La dernière personne que j’ai rencontrée avait des liens de parenté avec ma famille. Moi, je ne savais pas. Deux jours après avoir recueilli sa version, je reçois un coup de fil de d’un frère me demandant de ne pas publier l’article. « Car en le publiant, tu risques de lui créer des problèmes. Il va se retrouver en prison. Il est membre d’une famille alliée à la mienne », me dit-il. Je rétorque en lui faisant savoir qu’il n’a pas à se mêler du travail que je fais. Mais il est resté intransigeant. Les coups de fils se multiplient. Les autres membres de la famille maternelle s’en mêlent. Face à la pression, j’ai fini par céder. L’article n’a jamais été publié.

            Un des obstacles au journalisme d’investigation demeure les pesanteurs socio-culturelles. Ceux qui exercent le pouvoir, ne se considèrent pas comme des serviteurs du peuple obligés de rendre des comptes. Ils ont une conception traditionnelle du pouvoir. Ils utilisent les attributs de la république mais se comportent comme des rois qui décident de tout. De leur côté, les populations les considèrent comme tels en rappelant régulièrement cette formule biblique : « toute autorité vient de Dieu ». Et il est connu que, dans les sociétés traditionnelles africaines, on ne critique pas Dieu. Ainsi, les dirigeants africains croient que toute critique de leur action est une critique adressée contre eux et que, par conséquent, il faut réduire en silence toute voix dissidente.

Les journalistes d’investigation, pour exister, doivent prendre en compte tous ces éléments.

  1. Conséquences de ces situations

Au début des années 2000, des sessions de formation sur le journalisme d’investigation ont été organisées à l’endroit des professionnels des médias des pays d’Afrique francophone. L’objectif étant de leur donner des outils nécessaires afin de mener des enquêtes pointues sur des sujets sensibles sous toutes leurs formes. Par exemple, l’Institut de la Banque mondiale avait proposé plusieurs cours par enseignement à distance. Cependant, le journalisme d’enquête peine à décoller dans les pays d’Afrique francophone. Il y a un retard notable par rapport aux pays anglophones. La culture de la peur fait que peu de journalistes hésitent à franchir le pas de l’investigation. Ainsi, les prix mis en jeu à l’occasion des concours sur le journalisme d’investigation en Afrique sont souvent raflés par les médias anglophones.

      Le 26 avril 2023 à Dakar, 10 journalistes sur 110 ont été récompensés, dans le cadre du Prix Africain du Journalisme d’Investigation (PAJI) 2023 organisé par Média et démocratie et le Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI) de Dakar. Les lauréats ont été sélectionnés à partir d’un appel à candidatures qui a mobilisé plus d’une centaine de participants qui ont concouru dans les quatre catégories suivantes : Presse écrite, médias du Web, Radio et Télévision16. Ce qui saute aux yeux, c’est que sur les 10 récipiendaires, il n’y a que quatre journalistes francophones (Sénégal, Côte d’Ivoire, Bénin et Niger). Aucun journaliste des pays d’Afrique francophone qui font l’objet de cette réflexion.

      A cette occasion, le journaliste sénégalais, Azil Momar Lo, qui a reçu le premier prix dans la catégorie Radio, a regretté que le journaliste d’investigation soit moins développé en Afrique francophone qu’anglophone : « Dans nos pays, les médias les plus puissants et les plus importants en tout cas, ce sont des médias pour la plupart d’Etat ou de services publics qui n’ont pas assez de souplesse pour donner du temps aux journalistes de creuser des sujets, d’aller plus loin. Il faut surtout s’armer de courage et de patience »17.

      Par ailleurs, peu de femmes embrassent le métier de journaliste. Un constat fait à l’échelle continentale par l’Union africaine (UA) qui a formulé un certain nombre de recommandations : « assurer que le genre soit intégré dans toutes les institutions de formation aux médias financées par des fonds publics et encourager les institutions de formation aux médias financées par des fonds privés à en faire autant. Il est également nécessaire de jeter un regard neuf sur les programmes de formation en intégrant le genre dans la communication journalistique et les programmes d’études des médias et l’enseignement. Améliorer l’inscription des femmes dans les institutions de formation aux médias, en particulier pour les programmes qui sont généralement stéréotypés tels que les reportages sur le sport, la politique et l’économie » (GLAU, P.4).

      Dans la plupart des pays d’Afrique francophone, il existe des organisations des femmes professionnelles des médias qui entendent travailler ensemble pour créer un environnement plus égalitaire dans l’espace médiatique. Même si de légers progrès sont faits par rapport à leur présence dans les salles de rédaction, elles restent cantonnées dans les seconds rôles comme la présentation des journaux, l’animation des émissions portant sur la santé, la beauté, le sexe, la musique, etc. Peu participent à des débats politiques. Celles qui osent en allant sur le terrain pour des reportages ou en prenant position sur un sujet d’intérêt public, font souvent l’objet de menace d’agression physique, de harcèlement sexuel. A cela il faut ajouter la pression de la famille et des pesanteurs socioculturelles. Même au sein des entreprises de presse qui les emploient, elles sont victimes de discrimination et parfois, de harcèlement sexuel.

      En 2021, les femmes journalistes membres du syndicat national des journalistes du Cameroun ont, dans le cadre de la Journée Internationale de la Femme, lancé une campagne baptisée « Your Voice’s count » pour dénoncer les maux qui minent la gente féminine exerçant dans le domaine du journalisme. « Nous voulons juste une représentativité équitable au niveau de la répartition des tâches, des rémunérations salariales, une meilleure prise en compte du facteur genre au sein des rédactions », a plaidé Annie Paye, coordinatrice de cette campagne18.

Face à ces situations, les femmes travaillant dans les médias sont peu enclines à aller vers le journalisme d’investigation. Pour preuve, la journaliste ivoirienne, Emeline Pehe Amangoua, qui a remporté le premier prix dans la catégorie Presse écrite, est l’unique femme parmi les dix lauréats du Prix Africain du Journalisme d’Investigation. Une battante dans l’espace médiatique francophone qui va sûrement faire des émules.

  1. Pistes de solutions

Les pays d’Afrique francophone font face à plusieurs défis liés à la gouvernance, aux droits de l’homme, aux ressources minières et à l’environnement. Il faut que la lumière de veille et d’éveille reste constamment allumée. Et cela passe par le journalisme d’investigation qui doit surmonter les obstacles et commencer petit à petit à rentrer dans les habitudes.

Même si les régimes politiques autoritaires sont prompts à bâillonner la presse à travers l’appareil judiciaire et les institutions de régulation des médias, les journalistes doivent mettre à profit les textes qui existent pour faire leur travail en toute objectivité. Si le travail est fait dans le but d’informer et d’enrichir le débat démocratique et non dans l’intention de nuire, on aura moins de soucis. Comme le conseille de Sci Dev Net : « Le journalisme d’investigation peut susciter des relations conflictuelles. La meilleure façon de vous protéger, c’est d’être irréprochable. Vous avez découvert quelque chose, certes, mais il faut vous assurer que les autres vous croient ». (Jayaraman, 2013). 

Parfois, auréolé par le succès de ses publications, le journaliste d’investigation joue à la star et au donneur de leçon. Le risque de verser dans le sensationnel devient fort. En plus, la course au scoop peut s’avérer dangereuse. Des comportements à éviter tout prix.

Une autre piste de solution, c’est l’organisation des journalistes d’investigation en réseau tant le plan national, régional, continental et mondial. On devient fort quand on est uni. Ainsi, dans plusieurs pays d’Afrique francophone, des journalistes s’organisent en réseau pour mieux exercer leur activité. On peut citer entre autres le Consortium des journalistes d’investigation du Togo (COJITO), le Collectif des journalistes d’investigation (CJI) au Cameroun, le Réseau malien des journalistes d’investigation (RMJI).

 En Afrique de l’Ouest par exemple, la Cellule pour le journalisme d’investigation Norbert Zongo de Afrique de l’Ouest (CENOZO) fait un travail formidable dans le renforcement des capacités des journalistes d’investigation de la région par la formation, le soutien financier et technique aux enquêtes dans des domaines variés tels que la corruption, le crime organisé, la gouvernance, les violations des droits de l’homme et l’environnement. Quand le journal d’investigation burkinabé L’Evénement a été mis sous scellé, la CENOZO, de concert avec la Société des éditeurs de presse privée (SEP), a posé un acte de solidarité qu’il convient de saluer. Les deux organisations ont lancé un appel « pour une souscription volontaire, à l’effet de soutenir ce journal d’investigation. Cette levée de fonds est un sursaut républicain, en vue de protéger et garantir la pérennité des rares leviers qui nous restent, pour préserver l’état de droit et garantir la démocratie, le droit à l’information en sauvant cet outil indispensable de la bonne gouvernance et de la redevabilité au Burkina Faso »20.

En outre, la précarité dans laquelle travaillent nombre de médias africains, constitue un handicap à l’éclosion d’un véritable journalisme d’investigation. Les difficultés financières font que les entreprises de presse refusent de consacrer un budget conséquent aux enquêtes. Pour le moment, ce sont certains journalistes qui, individuellement et avec le soutien de certaines organisations régionales ou internationales, essaient de produire des articles d’investigation. Ce qui est à l’origine de plusieurs problèmes dans les entreprises : des collègues qui sont mécontents parce qu’au moment où ils tiennent quotidiennement la rédaction, l’autre se déplace pour des enquêtes ; le directeur qui envie son journaliste parce qu’il estime celui-ci se sert de son journal pour gagner de l’argent ; le journaliste d’investigation qui, à cause de l’argent issu des financements et de quelques prix remportés, pousse les cornes, n’a que faire des injonctions de son patron et finit par créer son propre organe de presse.

Il est alors important de repenser les financements du journalisme d’investigation en Afrique et les retombées liées aux prix qui sont décernés. L’implication de toutes les parties (responsable d’entreprise de presse et journaliste) est une solution durable.

Conclusion

            Le journalisme d’investigation a sa place dans les pays d’Afrique francophones où fleurissent des maux comme la longévité au pouvoir, des coups d’Etat militaire, la violation des droits de l’homme, les conflits intercommunautaires, le terrorisme, la corruption, le bradage des ressources minières, etc. Il doit apparaître comme un levier de contre-pouvoir et d’éveille des consciences.

            Alors, les obstacles, quels qu’ils soient, doivent être transcendés par les journalistes d’investigation. Les lois et les instruments internationaux existent et il suffit de savoir s’en servir. L’essentiel, c’est de bien faire son travail, c’est de « dire la vérité rien que la vérité ».

Les succès enregistrés peuvent amener certains professionnels des médias surtout les femmes à briser le climat de peur et à prendre le train du journalisme d’investigation. Mais l’organisation en réseau à l’échelle nationale et internationale ainsi qu’une meilleure planification des financements et des prix récompensant les journalistes peuvent contribuer à l’essor du journalisme d’enquête.

Zeus K. AZIADOUVO, Journaliste-Ecrivain, Fondateur du Groupe de Presse Liberté, ancien membre de la HAAC. Article rédigé en juin 2023 pour le compte d’une ONG internationale promouvant le journalisme d’investigation

Références bibliographiques

Lodamo, B. et Skjerdal, T. S. (2011), Gratifications et enveloppes dans le journalisme éthiopien – Corruption ou formes légitimes d’encouragement professionnel ? in Afrique contemporaine 2011/4 (n° 240), pages 77 à 92, Ed. De Boeck Supérieur, ISBN 9782804168773.

Friedrich-Ebert-Stiftung, (2021), Baromètre des médias africains – Une analyse des tendances des BMA pour 28 pays sur 11 ans 2011-2021, ISBN: 978-99916-991-7-2.

Atenga, T. (2005), La presse privée et le pouvoir au Cameroun – Quinze ans de cohabitation houleuse in Dans Politique africaine 2005/1(N° 97), pages 33 à 48, Ed. Karthala, ISBN 9782845866454.

Gender Links for the African Union, Final Draft Media Portrayal of Women and Media Gender Gap in Africa Paper, P.4, https://au.int/sites/default/files/newsevents/workingdocuments/33025-wd-media_portrayal_of_women_and_media_gender_gap_in_africashortpaperfinaldraft_en.pdf.

Jayaraman, K.S. (2013), Journalisme d’investigations : un guide pratique, https://www.scidev.net/afrique-sub-saharienne/practical-guides/journalisme-d-investigations-un-guide-pratique-1/ (Consulté le 17 juin à 11h12).

Notes

1 Loi organique n°2021-031 du 06 décembre 2021 relative à la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) du Togo.

2 https://rsf.org/fr/gabon-rsf-appelle-%C3%A0-la-r%C3%A9forme-de-la-hac-bourreau-des-m%C3%A9dias-gabonais (visité le 12 juin 2023 à 18h15 GMT).

3 https://www.koaci.com/article/2023/06/03/cameroun/politique/cameroun-des-medias-et-journalistes-sanctionnes-par-le-cnc_169776.html (Visité le 12 juin 2023 à 20h GMT).

4 https://www.mfwa.org/fr/la-presse-togolaise-entre-les-griffes-de-la-gendarmerie-de-la-haac-et-de-la-justice/ (visité le 14 juin 2023 à 10h36 GMT).

5 https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/11/05/au-mali-les-atteintes-a-la-liberte-de-la-presse-se-multiplient_6148633_3212.html (visité le 14 juin 2023 à 10h47 GMT).

6 https://www.voaafrique.com/a/7105985.html (visité le 14 juin 2023 à 11h10 GMT

7 https://www.courrierinternational.com/article/entretien-au-burkina-faso-certains-medias-sont-devenus-des-cibles (visité le 14 juin 2023 à 11h24 GMT).

8 African Freedom of Information Centre (AFIC), Fédération Africaine des Journalistes (FAJ), fesmedia Africa de Friedrich-Ebert-Stiftung (FES), Droit pour l’Information en Afrique-Manuel pour les Journalistes, 2017, P.13, ISBN: 978-99945-77-50-7.

https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2023/03/togo-les-autorites-doivent-annuler-les-condamnations-contre-les-journalistes-ferdinand-ayite-et-isidore-kouwonou/ (visité le 14 juin 2023 à 18h22 GMT)0

10https://ifex.org/fr/un-journaliste-pour-la-premiere-radio-libre-de-djibouti-est-victime-de-harcelement-judiciaire/ (visité le 14 juin 2023 à 18h38 GMT).

11https://cpj.org/2020/06/un-journaliste-se-cache-deux-autres-sont-detenus-pour-avoir-couvert-des-manifestations-a-djibouti/ (consulté le 14 juin 2023 à 18h51 GMT).

12https://rsf.org/fr/rsf-et-29-m%C3%A9dias-et-organisations-demandent-la-fin-des-atteintes-%C3%A0-la-libert%C3%A9-de-la-presse-au-mali (consulté le 14 juin 2023 à 19h20).

13https://www.voaafrique.com/a/les-journalistes-des-employ%C3%A9s-pr%C3%A9caires-au-togo/5400813.html (consulté le 14 juin 2023 à 19h51).

14https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/06/05/au-burkina-faso-fermeture-des-locaux-d-un-journal-d-investigation_6176223_3212.html (consulté le 14 juin 2023 à 20h13 GMT)

15 https://cpj.org/fr/2019/09/des-journalistes-condamnes-a-des-amendes-lun-dentr/ (Consulté le 16 juin 2023 à 19h14).

16https://www.cad-cg.org/publications/actualites/congo-brazzaville-le-journaliste-raymond-malonga-condamne-a-six-mois-de-prison-ferme-et-30-000-000-fcfa-damende/ (Consulté le 16 juin 2023 à 19h24).

17https://naolemedia.com/index.php/2023/05/09/prix-africain-du-journalisme-dinvestigation-paji-2023-les-laureats-desormais-connus/ (Consulté le 16 juin 2023 à 19h48).

18https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230427-%C3%A0-dakar-la-2e-%C3%A9dition-du-prix-africain-du-journalisme-d-investigation-met-ce-genre-en-lumi%C3%A8re (Consulté le 16 juin 2023 à 20h10).

19 https://www.mediaterre.org/education/actu,20210406140711,6.html (Consulté le 16 juin 2023 à 20h27).

20 https://lefaso.net/spip.php?article122032 (Consulté le 16 juin 2023 à 20h22)

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