Francophonie : le président Doumbouya fait fort et réalise…

Fin septembre, l’OIF annonce, à la surprise générale, « exprimer sa solidarité » avec Conakry « en levant totalement (sa) suspension » prononcée en 2021, après le coup d’Etat perpétré contre le président Alpha Condé.

Pas un mot en revanche sur les trois autres pays suspendus par la Francophonie. Mali, Burkina Faso et Niger ont pourtant aussi vu des militaires chasser ces dernières années des régimes civils élus. Et comme en Guinée, ils sont restés au pouvoir, d’où ils répriment leur opposition, selon des ONG internationales.

Depuis trois ans, la junte guinéenne, sous la conduite de Mamadi Doumbouya, investi président depuis, a fait arrêter, mis en cause ou contraint à l’exil de nombreux opposants, quand d’autres ont disparu. Elle a interdit les manifestations, réprimées à balles réelles par les forces de sécurité, qui ont fait une cinquantaine de morts, d’après Amnesty International.

« La Guinée parait profiter de l’appel d’air autoritaire en cours dans les Etats de l’AES (Association des Etats du Sahel, qui comprend Mali, Burkina Faso et Niger, NDLR) et d’une plus grande attention internationale sur ces pays pour pousser le curseur de la répression à un degré inédit », estime Fabien Offner.

En ce sens, l’OIF, qui proclamait en 2000 que « Francophonie et démocratie sont indissociables », « marche sur ses propres textes » et « légitime le chef d’Etat » Mamadi Doumbouya, soupire ce chercheur d’Amnesty.

Interrogée début octobre par l’AFP à ce sujet, la secrétaire générale de l’OIF, Louise Mushikiwabo retenait pourtant les « progrès » réalisés par la junte guinéenne.

Avec le retour de la Guinée dans la Francophonie, « nous avons plus d’interactions, plus de leviers », justifiait l’ex-ministre rwandaise, qui souhaite le retour dans son organisation des trois pays du Sahel. Mais « est-ce que ça veut dire que la Guinée (…) coche toutes les cases sur les questions de démocratie, de droits et libertés ? Absolument pas », observait-elle encore.

‘Fierté’

Le vendredi 4 octobre 2024, le ministre guinéen des Affaires étrangères Morissanda Kouyaté disait, lui, toute sa « fierté » depuis le château de Villers-Cotterêts, à 60 km au nord de Paris, où l’AFP l’a interrogé au 19ᵉ sommet de la Francophonie, qui s’est conclu samedi.

« Nous avons été réadmis. Ça veut dire que nous avons été évalués, et que l’on a vu que la Guinée n’avait absolument rien dans le domaine des droits de l’Homme qui empêchait sa réintégration », ajoutait M. Kouyaté, lauréat en 2020 du prix Nelson Mandela de l’ONU pour sa lutte contre les violence faites aux femmes et aux filles en Afrique.

« Je peux vous garantir que notre gouvernement respecte les droits humains », insistait ce médecin de formation.

Le Front national pour la défense de la Constitution, collectif que la junte a annoncé dissoudre en 2022 mais qui continue à se battre pour un retour des civils, ne partage pas cette analyse. Il dénonce, dans un communiqué, la « complicité de l’OIF dans la souffrance qu’endurent les Guinéens ».

Car au-delà de la Francophonie, la Guinée est toujours suspendue par l’Union africaine et elle n’est pas invitée à participer aux réunions de chefs d’État de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), selon des porte-paroles de ces deux organisations.

Plusieurs observateurs y voient une initiative à l’OIF de la France, destinée à séduire Mamadi Doumbouya, chef de junte qualifié de « francophile » après son passage par la Légion étrangère et l’Ecole de guerre, et son mariage à une Française.

Un positionnement diamétralement opposé à celui des régimes sahéliens, qui après avoir expulsé la force antijihadiste française Barkhane, se sont rapprochées de Moscou.

« Depuis mars 2022, la France a repris une coopération sécuritaire avec le pouvoir guinéen » de nature « opaque », déplorait récemment le député français Aurélien Saintoul (gauche radicale), qui s’étonnait du « soutien total » de Paris à une junte « que peu de choses distinguent d’autres semblables dans la région ».

L’OIF, dont la France finançait en 2022 plus de 40% du budget, selon une étude récente de deux autres parlementaires français, a « toujours été un instrument de la diplomatie de la France en Afrique », estime l’essayiste spécialiste du continent africain Antoine Glaser.

L’implication de Paris dans la réadmission de Conakry est toutefois démentie à l’AFP tant par la cheffe de l’OIF Louise Mushikiwabo, « la Francophonie n’est pas la Françafrique »  que par le ministre Kouyaté : « l’OIF est une organisation internationale, pas une organisation française ».

Mais qu’importe l’origine, grâce à l’OIF, Mamadi Doumbouya bénéficie désormais d »un blanc seing international », constate Antoine Glaser. Une victoire diplomatique certaine, à un moment où la communauté internationale, tournée vers le Proche-Orient ou l’Ukraine, se désintéresse de l’Afrique.

© AVEC AFP

source