Exploiter le soleil de l’Afrique : libérer le potentiel de l’énergie solaire

L’Afrique se trouve à un moment crucial de son parcours énergétique. Bien qu’elle abrite certaines des régions les plus instables du monde, le continent représente moins de 1 % de la capacité solaire installée mondiale. Ce contraste frappant apparaît dans le contexte d’une révolution solaire
qui transforme le paysage énergétique mondial. En 2004, il a fallu une année entière pour que le monde installe un seul gigawatt (GWp) de capacité d’énergie solaire. En 2010, le même jalon a été atteint en un mois. En 2016, il n’a fallu qu’une semaine, et aujourd’hui, chaque jour peut être témoin de
plus d’un gigawatt d’installations dans le monde.
Comme le dit à juste titre Rob Carlons, “le soleil a gagné la course à la production d’énergie”, en devenant la source d’électricité la plus abordable et la plus durable. Pourtant, l’Afrique est loin derrière des régions comme l’Asie, qui représente plus de 50 % de la capacité solaire mondiale. Cet article examine les raisons de l’adoption plus lente de l’énergie solaire en Afrique, examine les défis sous-jacents et explore des solutions concrètes pour exploiter le vaste potentiel solaire du continent. Nous soulignons également le rôle essentiel que les organisations à but non lucratif peuvent jouer pour accélérer cette transformation et façonner un avenir d’énergie solaire décentralisée pour l’Afrique.

Un paradoxe du progrès : croissance de l’énergie solaire en Afrique par rapport à la capacité mondiale
Selon le rapport annuel 2024 de l’AFSIA sur les perspectives solaires, l’Afrique a installé 3,1 GWc de capacité solaire en 2022, soit une croissance stupéfiante de 180 % d’une année sur l’autre. En 2023, le continent a établi un nouveau record avec 3,7 GWc de capacité installée. Bien que ces chiffres représentent des progrès significatifs, ils ne représentent toujours que moins de 1 % de la capacité solaire
installée mondiale totale. Ce paradoxe devient encore plus déroutant si l’on considère l’exposition solaire sans précédent de l’Afrique.

Obstacles à l’adoption de l’énergie solaire

  1. Scepticisme et idées fausses
    De nombreux Africains restent sceptiques à l’égard de l’énergie solaire, un doute enraciné dans des expériences passées avec une technologie peu fiable. Les premiers systèmes solaires reposaient souvent sur des batteries au plomb-acide ou au gel inefficaces qui tombaient en panne prématurément, entraînant des pertes financières importantes pour les utilisateurs.
    De plus, ces systèmes nécessitaient des réseaux séparés de 12 ou 24 volts, limitant la compatibilité avec les appareils électriques standard. Pour aggraver le problème, le marché a vu un afflux d’équipements fabriqués à bas prix qui étaient sous-performants ou avaient une durée de vie courte,
    ce qui a encore érodé la confiance. Ces défis ont laissé de nombreux ménages et entreprises désillusionnés, favorisant une perception durable selon laquelle l’énergie solaire n’est pas fiable et ne vaut pas l’investissement.
  2. Résistance des services publics nationaux
    Les services publics nationaux africains subissent une pression immense pour répondre à la demande croissante en énergie, mais beaucoup d’entre eux sont confrontés à l’instabilité financière et à des pannes de courant fréquentes. Des pays comme le Nigéria, le Ghana et la Côte d’Ivoire, qui exportent de l’électricité vers leurs voisins, manquent souvent d’électricité pour leurs propres besoins. À l’échelle mondiale, la croissance de l’énergie solaire est largement portée par les gouvernements, avec des projets à grande échelle qui augmentent l’approvisionnement en énergie à faible coût. En Afrique, cependant, plus de 65 % de la nouvelle capacité solaire provient de projets commerciaux et industriels (C&I), stimulés par des raisons économiques du secteur privé plutôt que par des initiatives publiques. Si cette situation met en évidence une trajectoire de croissance différente, elle révèle également une opportunité pour les gouvernements de jouer un rôle plus actif dans la coordination de l’expansion de l’énergie solaire.
  3. Défis de financement
    Les installations solaires en Afrique sont majoritairement autofinancées. Si certaines banques, comme Ecobank, proposent des prêts pour les projets solaires, ces prêts sont souvent assortis de taux d’intérêt élevés et de délais de remboursement courts, ce qui les rend inaccessibles à beaucoup. Le financement abordable adapté aux systèmes solaires reste une lacune importante.

Opportunités de croissance

  1. Arguments économiques en faveur de l’énergie solaire
    Les fréquentes pannes de courant en Afrique ont rendu les générateurs diesel indispensables pour les entreprises et les foyers de taille moyenne, permettant des opérations dans des zones où le réseau électrique est peu fiable. Cependant, leurs coûts à long terme (achat, carburant et maintenance)
    sont de plus en plus insoutenables.
    Avec la baisse rapide des coûts de l’énergie solaire et des batteries, les systèmes solaires hors réseau offrent désormais une alternative plus abordable et durable. Dans de nombreux cas, le coût total de possession d’un générateur diesel a égalé ou dépassé les solutions solaires, ce qui représente une opportunité importante
    pour les entreprises et les ménages de passer à des systèmes énergétiques plus propres et rentables.
  2. Systèmes énergétiques décentralisés
    L’avenir énergétique de l’Afrique repose sur des systèmes décentralisés, dans lesquels les entreprises et les ménages produisent leur propre électricité grâce à des installations solaires. Ce modèle réduit la dépendance aux réseaux nationaux fragiles et autonomise les communautés. The Economist : « Sun Machines : le solaire, une source d’énergie de moins en moins chère, va devenir important » (20 juin 2024), a souligné cette tendance en Afrique subsaharienne, notant l’évolution vers l’autosuffisance comme solution aux crises énergétiques.
  3. Formation, taxes et équipement de qualité
    Les progrès de la technologie solaire, tels que les batteries intelligentes et les onduleurs connectés, ont considérablement amélioré la fiabilité et l’efficacité du système. Les onduleurs connectés, en particulier, offrent des capacités de surveillance avancées, permettant aux installateurs de fournir une assistance rapide et de résoudre les problèmes potentiels avant qu’ils ne s’aggravent.
    Pour maximiser ces avantages, il est essentiel de former les installateurs locaux et d’éduquer les consommateurs sur le choix d’équipements de haute qualité. Les importations de mauvaise qualité ont historiquement érodé la confiance dans les solutions solaires. La réduction ou l’élimination des taxes d’importation sur les équipements solaires pourrait également rendre une technologie fiable et avancée plus accessible, accélérant ainsi son adoption sur tout le continent et favorisant un avenir énergétique plus durable.

Le rôle des organisations à but non lucratif
Les organisations à but non lucratif ont un rôle unique à jouer pour combler le déficit énergétique. En s’associant aux gouvernements, aux entreprises et aux communautés, elles peuvent :

  • Faciliter les programmes de formation pour les installateurs locaux.
  • Plaider en faveur de politiques et de subventions favorables pour rendre les systèmes solaires plus accessibles.
  • Collaborer avec les institutions financières pour développer des programmes de prêts abordables adaptés à l’adoption de l’énergie solaire.
    En outre, les organisations à but non lucratif peuvent jouer un rôle essentiel dans les campagnes de communication visant à dissiper les mythes sur l’énergie solaire et à mettre en avant ses avancées. Cela peut faire passer l’état d’esprit collectif du scepticisme à l’enthousiasme.

La voie à suivre
La transformation énergétique de l’Afrique n’est plus un rêve lointain, c’est une réalité imminente. Alors que les coûts de l’énergie solaire et du stockage d’énergie continuent de chuter, le continent se prépare à une révolution énergétique décentralisée qui bouleversera les modèles de services publics traditionnels et centralisés. Cette transition permettra aux particuliers et aux entreprises de produire leur propre électricité, favorisant ainsi l’indépendance énergétique et la résilience.
L’évolution du réseau national en une plateforme de commerce d’énergie pourrait amplifier ce changement.
Les propriétaires et les entreprises disposant d’un surplus d’énergie provenant de systèmes solaires pourraient le revendre au réseau, créant ainsi un écosystème énergétique dynamique et interconnecté. Cette vision s’aligne sur la conviction intemporelle de Thomas Edison : « L’électricité est la force motrice du progrès et de la civilisation moderne. »
Un avenir plus propre devient de plus en plus accessible à mesure que les véhicules électriques (VE) remodèlent le paysage énergétique. Avec des capacités de batterie allant jusqu’à 40 kWh, les VE offrent une efficacité inégalée, fournissant de l’énergie à moins d’un dixième du coût de l’alimentation en carburant des véhicules traditionnels. En moyenne, un VE d’une capacité de 40 kWh peut parcourir 350 à 400 kilomètres pour seulement 7 à 10 dollars de coût d’électricité, selon le pays. En revanche, un plein d’essence pour la même distance peut coûter entre 60 et 80 dollars.
Cette réalité souligne la viabilité d’une transition vers les énergies renouvelables et des transports plus propres.
Cependant, l’Afrique n’est pas encore totalement équipée pour accueillir cette révolution. En adoptant des politiques progressistes, en augmentant les investissements et en encourageant les efforts locaux, le continent peut accélérer sa transition vers un avenir durable alimenté par l’énergie solaire. Ensemble, nous pouvons éclairer l’Afrique et libérer son vaste potentiel, en veillant à ce que le continent prospère à l’ère mondiale de l’énergie propre.

Appel à l’action
Ce parcours nécessite un effort collectif. Les organisations à but non lucratif, les gouvernements et les acteurs du secteur privé doivent s’unir pour exploiter la puissance du soleil africain. Ce faisant, nous pouvons transformer non seulement le paysage énergétique, mais aussi le développement économique et social du continent.

Travaillons ensemble pour faire de cette vision une réalité.

Par Sewa Agbodjan, analyste de systèmes du Togo

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