Quand il était féticheur, persuadé que cela lui apporterait du « pouvoir », l’Ivoirien Moussa (le prénom a été modifié) s’est régulièrement enduit d’un onguent à base de gland du clitoris d’une femme excisée réduit en poudre.
C’était il y a une dizaine d’années, quand on le consultait comme sorcier et guérisseur autour de Touba dans le nord-ouest du pays.
Ce cas n’est pas unique. Dans plusieurs régions de Côte d’Ivoire, « cet organe est utilisé pour faire des philtres d’amour, avoir de l’argent ou accéder à de hautes fonctions politiques », rapporte Labe Gneble, directeur de l’Organisation nationale pour l’enfant, la femme et la famille (Onef).
Sur le marché clandestin, son prix peut dépasser le salaire minimum (75.000 francs CFA, 114 euros).
A Touba, « on entend que c’est très prisé pour des pratiques mystiques », confirme le lieutenant de police N’Guessan Yosso.
Au terme d’entretiens menés auprès d’anciens féticheurs et exciseuses, chercheurs, ONG et travailleurs sociaux, l’AFP a pu établir l’existence d’un trafic de glands de clitoris de femmes excisées transformés en poudre et vendus pour les pouvoirs qu’on leur prête.
Les origines de ce commerce illégal sont obscures et son ampleur difficile à estimer. Mais les acteurs locaux en sont convaincus, il constitue un des obstacles à la lutte contre l’excision, interdite depuis 1998 en Côte d’Ivoire.
Pilé avec des cailloux
Autour de Touba, à l’époque où il était féticheur, figure parfois considérée comme un médecin traditionnel, Moussa était souvent sollicité par des exciseuses souhaitant être protégées des mauvais sorts.
Cette mutilation génitale, le plus souvent pratiquée entre l’enfance et l’adolescence, peut être considérée par les familles comme un rite de passage à l’âge adulte ou un moyen de réprimer la sexualité d’une fille, explique l’Unicef.
Perpétuée depuis des siècles par différentes religions en Afrique de l’Ouest, elle constitue une violation des droits fondamentaux selon l’Unicef. En plus de la douleur physique et psychologique, ses conséquences sont graves voire mortelles : stérilité, complications en couches, infections, saignements…
En pleine forêt ou dans une maison, Moussa accompagnait donc les exciseuses dans un lieu sacralisé pour l’occasion d’une ou plusieurs dizaines d’excisions. Proche de ces femmes, il pouvait ainsi se procurer la fameuse poudre.
« Quand elles coupent le clitoris », les exciseuses « le font d’abord sécher pendant un mois ou deux » puis elle le « pilent avec des cailloux », décrit-il.
Le résultat est une « poudre noire » qu’elles mélangent parfois à « des feuilles, des racines, des écorces » ou « du beurre de karité ».
Elles peuvent la vendre environ « 100.000 francs CFA (152 euros) si la fille est vierge », « 65.000 francs CFA (99 euros) si elle a déjà eu des enfants » ou la troquer contre des services, poursuit Moussa.
Selon l’homme, qui milite désormais contre l’excision, le trafic perdure.
Trafic d’organes
Selon les villages, le clitoris des fillettes et jeunes filles est habituellement enterré, jeté dans une rivière ou donné aux parents, expliquent d’anciennes exciseuses à l’AFP.
Mais l’une d’elle, interrogée dans l’ouest du pays sous couvert de l’anonymat, confirme l’utilisation occulte de clitoris arrachés aux femmes.
Au regard du droit ivoirien, le commerce du gland du clitoris est « un trafic d’organes » et un « recel » punissable, comme l’excision, de plusieurs années de prison et d’amendes, souligne l’avocate Me Marie Laurence Didier Zézé.
La préfecture de police basée à Odienné, qui couvre cinq régions du nord-ouest ivoirien, indique n’avoir jamais poursuivi personne pour un tel trafic.
« Le clitoris ne peut pas donner de pouvoirs », balaye la gynécologue Jacqueline Chanine basée à Abidjan, « c’est farfelu ».
La pratique se retrouve pourtant dans plusieurs régions, témoignent des chercheurs.
Mercredi, le ministère a rappelé dans un courrier à l’AFP qu’à ce jour « aucun dossier officiel de la gendarmerie ou de la police nationale n’a été ouvert en Côte d’Ivoire sur un prétendu trafic d’organes excisés », assurant qu’il n’y a « pas de preuve tangible d’un marché de vente de clitoris excisés ».
Il précise également que la Côte d’Ivoire a mis en place un « dispositif d’alerte précoce ainsi qu’un réseau de 1.673 leaders communautaires pour prévenir et éradiquer les MGF » (mutilations génitales féminines).
Survivance
Ce commerce est « une des raisons de la survivance des mutilations génitales féminines » en Côte d’Ivoire, dénonce la fondation Djigui comme l’Onef, ONG de lutte pour l’amélioration des conditions de vie des femmes depuis les années 1990.
Le taux de prévalence de l’excision a baissé dans le pays depuis son interdiction et reste en deçà de la moyenne ouest-africaine (28%), selon l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques).
Mais une Ivoirienne sur cinq affirme encore avoir subi des mutilations génitales et dans certaines régions du nord, le taux peut dépasser 50%.
Dans les lieux où était appelé l’ancien féticheur Moussa, jusqu’à « 30 femmes » étaient excisées en une journée, assure-t-il. La période de janvier à mars est privilégiée, quand l’harmattan chaud et sec permet une meilleure cicatrisation, précise-t-il.
A Touba, les agents du seul centre social de la région constatent que l’excision se poursuit clandestinement et reste difficile à évaluer.
Elle se cache derrière des fêtes traditionnelles sans lien apparent, disent-ils, évoquant la venue d’exciseuses de la Guinée voisine, située à quelques kilomètres et où le taux d’excision dépasse les 90%.
Avec l’AFP