Constitution adaptée à nos réalités : Tshisekedi sur les traces de Faure

Sur le continent africain, les constitutions se font et se défont  à volonté et qu’il faut sans cesse relégitimer. Après le Togo, la République Démocratique du Congo s’apprête aussi à « adapter sa constitution aux réalités congolaises ». Ces changements constitutionnels politisés semblent être une nouvelle panacée pour des Chefs d’Etats accrochés au pouvoir.  Des Chefs d’Etat qui se refusent à l’idée de l’alternance et visiblement prêts à tous subterfuges politiques pour rester indéfiniment au pouvoir.

    Félix Tshisekedi veut une nouvelle constitution pour la République Démocratique du Congo. Il l’a fait savoir la semaine dernière lors d’un discours prononcé à Kinsangani, chef-lieu de la province de la Tshopo.  « Notre constitution n’est pas bonne », a dit Félix Tshisekedi, le Président congolais, en visite à Kinsangani le mercredi 23 octobre 2024.  « Elle a été élaborée à l’étranger et par des étrangers », a poursuivi le Président en évoquant le texte adopté en 2006 et révisé en 2011.
    Il confirme ainsi sa volonté plusieurs fois affirmée ces derniers mois de changer le texte en vigueur, qu’il juge « dépassé ». Le Président congolais souhaite une « Constitution qui devrait être rédigée sur la base de nos propres réalités ». Pour ce faire, il a annoncé la mise en place, en 2025, sans donner de date plus précise, d’une commission nationale chargée d’élaborer le texte. « Il n’y a pas d’urgence et ce n’est pas une affaire qui doit nous diviser », a-t-il insisté.
    En effet, le texte actuel, c’est-à-dire la Constitution de 2006, a été inspiré ou rédigé en partie par des constitutionnalistes étrangers, notamment belges. Elle est néanmoins le fruit de discussions inter-congolaises qui se sont soldées, le 19 avril 2002, par un accord à Sun City, en Afrique du Sud.
L’actuel texte fondamental de la RDC adopté par référendum en décembre 2005, puis promulguée le 18 février 2006 par le Président Joseph Kabila a été révisé en 2011 par les parlementaires. Ceux-ci n’ont pas touché aux articles dits « verrouillés », dont l’un stipulant que le Président est élu pour  « un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois ».
    Le jour de son investiture, le 24 janvier 2019, Félix Tshisekedi avait promis de « défendre la Constitution et les lois de la République ». Pourtant, cinq ans plus tard, c’est ce même texte adopté en 2006 que le Président congolais appelle à modifier, l’accusant d’avoir été « rédigé à l’étranger et par des étrangers ». Curieux.

Sur les traces de Faure Gnassingbé
    Le 25 mars 2024, des députés togolais dont le mandat a expiré depuis plusieurs mois ont changé la constitution du pays. Le Togo est ainsi passé d’un régime semi-présidentiel à un régime parlementaire à la togolaise ouvrant la voie à un règne sans limites pour Faure Gnassingbé. Hasard du calendrier ou pas, deux jours après ce changement constitutionnel opéré dans des conditions troubles que certains opposants et acteurs de la société civile du Togo qualifient de « coup d’État constitutionnel », Félix Tshisekedi avait effectué « une visite d’amitié et de travail à Lomé ».

A Lomé, le Président congolais a notamment échangé avec son homologue togolais, Faure Gnassingbé. C’est peut-être là qu’il a consolidé son ambition à lui en s’alignant sur l’exemple d’un Faure Gnassingbé qui n’affiche aucune volonté de quitter le pouvoir. Dans tous les cas, Félix Tshisekedi se lance sur terrain glissant qui pourrait se relever une grande menace pour son deuxième mandat.  Surtout dans un pays où les groupes armés représentent une menace perpétuelle pour le pouvoir central.

Instrumentalisation des constitutions
    Sur le continent, les Chefs d’Etat  dans leur entreprise d’un pouvoir à vie désacralisent les constitutions comme bon leur semble. Norme suprême tantôt instrumentalisée par le pouvoir en place, tantôt déstabilisée par la banalisation des révisions. Et pour cause ! Ces changements se font sur des points principaux : le mode de scrutin pour l’élection du Président de la République ou de l’âge d’entrée ou de sortie de la fonction, ainsi que la limitation des mandats.
    Ainsi, un certain nombre d’actes, de comportements et de stratégies sont mis en place afin de détourner la constitution de son objectif premier. En effet, lorsque des Chefs d’Etat s’accrochent au pouvoir en mettant en place des pratiques autoritaires et en s’octroyant des attributions larges, ils sont le plus souvent contraints de donner une apparence de conformité avec la Constitution. Alors, l’instrumentalisation de la constitution se matérialise alors par des révisions constitutionnelles taillées sur mesure. La Constitution qui était alors censée encadrer l’activité politique et fixer les institutions devient prétexte à modifications intempestives débouchant sur des crises politiques.
    S’il est admis que nombre de constitutions souffrent d’une faiblesse originelle, les changements ou révisions opérés par les Chefs d’Etat n’ont pour objectif qu’un bénéfice pour leur pouvoir. La Constitution, écrivait le Professeur Maurice Ahanhanzo-Glèlè, est malade de deux manières : soit par son inapplication, soit par l’instrumentalisation résultant de son application. Ainsi, l’inadaptation des constitutions aux réalités africaines n’est donc qu’un faux procès sur fond d’une volonté à peine voilée de confiscation du pouvoir.

Lemy Egblongbéli

Source : Journal Lecorrecteur

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