La Cour constitutionnelle roumaine a annulé ce vendredi 6 décembre 2024 l’élection présidentielle à deux jours du second tour, dernier rebondissement dans un processus chaotique troublé par des suspicions d’interférence russe en faveur du candidat d’extrême droite.
Le président pro-européen Klaus Iohannis reste pour l’heure en poste jusqu’à l’élection de son successeur à une date qui sera fixée par le futur gouvernement issu des récentes législatives.
La juridiction a décidé d’« annuler la totalité » du scrutin afin de « s’assurer de sa validité comme de sa légalité » et demande à ce que « l’intégralité du processus électoral » recommence, selon un communiqué qui a plongé le pays d’Europe orientale sous le choc.
La Cour avait pourtant validé les résultats plus tôt dans la semaine après un recomptage des voix du premier tour qui avait conclu à l’absence de fraudes.
Mais entretemps les autorités ont déclassifié des documents des services de renseignements étayant les accusations sur le rôle de TikTok dans la campagne, avec la Russie dans le viseur.
« Un candidat a illégalement bénéficié d’une promotion passive et a déclaré zéro euro de dépenses », a dénoncé M. Iohannis. « Sa campagne a, en outre, été soutenue par un Etat étranger. Il s’agit de choses graves ».
Au premier tour, le candidat nationaliste Calin Georgescu est arrivé en tête à la surprise générale, balayant les favoris dans les rangs des partis de gouvernement.
Critique de l’UE et de l’Otan, cet ancien haut fonctionnaire de 62 ans s’est encore déclaré vendredi dans les médias en faveur d’un arrêt total de l’aide militaire à l’Ukraine voisine.
Il a dénoncé vendredi une forme de « coup d’Etat » après l’annonce par la Cour constitutionnelle roumaine de l’annulation du scrutin.
« C’est tout simplement un coup d’Etat organisé… Notre démocratie est en danger », a déclaré M. Georgescu dans un message vidéo.
Cet ancien haut fonctionnaire de 62 ans, critique de l’UE, de l’Otan et de toute aide militaire à l’Ukraine, appelant à rester « confiant dans notre idéal commun » malgré l’annulation du scrutin fondée sur des suspiscions d’interférence russe via le réseau TikTok.
Appel au « calme »
Il devait affronter dimanche la centriste pro-européenne Elena Lasconi, autoproclamée elle aussi « anti-système » et qui remontait dans les sondages, engrangeant les ralliements.
Celle-ci a estimé dans une vidéo que « le vote aurait dû avoir lieu » et condamné une « décision illégale » d’un « Etat roumain bafouant la démocratie » et « conduisant le pays à l’anarchie ».
Le chef du principal parti d’extrême droite AUR, George Simion, a également fustigé une décision « motivée politiquement », « annulant la volonté du peuple roumain » tout en appelant ses partisans au calme, car « le système doit tomber démocratiquement ».
Aucun rassemblement de protestation n’a été constaté à ce stade mais plusieurs habitants interrogés par l’AFP à Bucarest ont exprimé leur désaccord vis-à-vis de la décision.
« C’est une manœuvre politique » pour permettre aux perdants de « revenir dans le jeu », estime Marius Neagu, vendeur de 48 ans.
Pour Miruna Mihai, 25 ans, « c’est une gifle pour tous ceux qui ont voté. Et cela risque de radicaliser les votes des partisans de Georgescu », s’inquiète-t-il.
Madalina Stroe, informaticienne de 34 ans, se réjouit en revanche : « Je ne voulais pas revenir aux temps du communisme et perdre notre liberté ».
Selon le politologue Costin Ciobanu, cette annulation « historique et sans précédent » va « polariser » encore plus la société et « soulève de sérieuses questions sur la solidité des institutions ».
« Coup d’Etat »
Le Premier ministre social-démocrate Marcel Ciolanu, éliminé contre toute attente du premier tour, a salué sur Facebook la « seule bonne solution » face à un résultat « faussé par l’intervention de la Russie ».
Dans le même sens, l’analyste Cristian Pirvulescu évoque auprès de l’AFP « une décision de bon sens » face à « un coup d’État dans les urnes ». Les juges « ont pris la décision qui rétablira enfin des règles du jeu équitables entre les concurrents ».
Le message « Roumanie d’abord » de M. Georgescu a trouvé son public auprès d’une partie de la population, lassée des partis traditionnels vus comme corrompus et confrontée à des difficultés économiques, dans l’un des pays les plus pauvres d’Europe.
Mais adepte des théories de complot et admiratif de Donald Trump, il a surtout bénéficié sur les réseaux sociaux d’un « traitement préférentiel », d’après les autorités.
Elles dressent des parallèles avec de précédents efforts d’ingérence électorale russe en Europe.
Les services secrets ont recensé « 25.000 comptes TikTok » directement associés à sa campagne et devenus « extrêmement actifs deux semaines avant la date du scrutin ».
La Roumanie a par ailleurs détecté plus de 85.000 cyberattaques, « y compris le jour de l’élection », lancées depuis une trentaine de pays et « exploitant les vulnérabilités des systèmes informatiques électoraux » pour déstabiliser le processus.
Deux enquêtes ont été ouvertes sur des faits de délits électoraux et blanchiment d’argent, notamment par le parquet anti-corruption.
@Avec l’AFP