N’Djamena calme après l’élection de Déby, mais sous étroite surveillance militaire

L’armée tchadienne a déployé un important dispositif dans certains quartiers de N’Djamena le vendredi 10 mai, où les habitants ont repris leur quotidien après une nuit de célébrations pour certains, de frustrations pour d’autres, à la proclamation la veille de la victoire du général Mahamat Idriss Déby Itno à la présidentielle.

Avant même les résultats officiels jeudi soir, donnant 61,03% des suffrages au jeune général qui dirigeait une junte militaire depuis trois ans, sa garde présidentielle, reconnaissable à ses bérets rouges, avait déployé de très nombreux blindés dans la capitale. De même que la police anti-émeutes.

Ils étaient présents en nombre plus important vendredi matin, selon des journalistes de l’AFP. Mais en dehors du centre et des autres quartiers réputés pro-Déby, où le dispositif n’excédait pas celui des jours ordinaires.

Résultats « falsifiés »

Jeudi soir, une heure avant les résultats officiels, le Premier ministre de la junte Succès Masra, un des candidats lundi, avait affirmé avoir remporté l’élection, assurant que le camp Déby allait falsifier les résultats. Il avait appelé ses partisans à se « mobiliser pacifiquement, mais fermement ».

Masra n’a recueilli que 18,53% des voix, selon les chiffres officiels de la commission électorale nommée par M. Déby.

Autour du siège de son parti Les Transformateurs, dans le sud de la capitale, aucun dispositif de sécurité, autre que celui en place d’ordinaire, n’est visible vendredi.

Et le calme règne partout en ville, avant la grande prière musulmane du vendredi. Commerces et marchés sont ouverts et la population a repris ses activités normales. Mais la plupart des écoles, collèges et lycées sont restés fermés.

Dans la nuit, des militaires, des policiers, mais aussi des quidams avaient tiré de manière effrénée durant des heures des rafales d’armes automatiques en l’air pour célébrer la victoire de Déby dans les quartiers qui lui sont favorables, et pour dissuader d’éventuels rassemblements dans le quartier des Transformateurs, qui était resté désert.

Des foules imposantes chantaient et dansaient dans les rues, notamment dans le centre, autour du palais présidentiel, au beau milieu des rafales d’armes automatiques. Un journaliste de l’AFP a vu au moins deux adolescents blessés par la chute des balles tirées en l’air.

Vendredi matin, certains médias tchadiens en ligne évoquaient des morts et des blessés par ces balles perdues, sans que ces informations ne soient étayées par des sources officielles, ni des responsables médicaux.

Les Tchadiens restent suspendus à une éventuelle déclaration de Masra, injoignable vendredi. Va-t-il démissionner ou être démis de ses fonctions de Premier ministre ?

« On sait très bien que c’est Masra qui a gagné, on attend des consignes de lui, on peut réagir (…), s’il n’y a pas de changement, il vaut mieux que nous on perde la vie pour que les gens qui viendront après ait une vie meilleure », assène Madallh Ndonodji, un jeune du quartier populaire de Moursal.

« Il y a quelque chose qui a été truqué », renchérit Bonheur Nadjitessem, 30 ans, adossé sur son scooter à Moursal. « On en a marre des manifestations pacifiques, en face, ils sont armés, si on doit sortir, il faut que la population » le soit aussi, lâche-t-il.

Des ONG internationales avaient dénoncé avant lundi un scrutin « ni crédible, ni libre ».

« Dynastie Déby »

Il marque la fin d’une transition militaire de trois ans et nombre d’observateurs l’estimaient joué d’avance en faveur du général, proclamé par une junte de 15 généraux chef de l’État le 20 avril 2021 pour remplacer son père Idriss Déby Itno qui venait d’être tué par des rebelles en se rendant au front. Après avoir dirigé d’une main de fer, 30 années durant, ce vaste pays sahélien parmi les plus pauvres du monde.

Autrefois le plus farouche pourfendeur de « la dynastie Déby », Succès Masra, s’était finalement rallié à la junte et le général l’avait nommé Premier ministre quatre mois avant le scrutin.

Le reste de l’opposition, muselée et réprimée, dans le sang parfois, l’avait accusé d’être un « traître » et d’être candidat à la présidentielle pour « donner un vernis démocratique et pluraliste » à un scrutin joué d’avance pour Déby.

Mais l’économiste Masra a créé la surprise en rassemblant des foules considérables durant sa campagne, au point de se dire capable de l’emporter, sinon de pousser M. Déby jusqu’à un second tour le 22 juin.

Si les partisans de Masra protestent contre son élection dans la rue, cela pourrait ouvrir la voie à des violences meurtrières, les manifestations de l’opposition étant systématiquement réprimées dans ce pays marqué, depuis son indépendance de la France en 1960, par les coups d’Etat, les régimes autoritaires et les assauts réguliers d’une multitude de rébellions.

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