« …Les captifs auxquels nous avons pour mission d’annoncer la libération aujourd’hui sont nos frères les détenus dans des conditions inhumaines, qui s’entassent dans des cellules exigües, insalubres, surpeuplées où beaucoup sont contraints de rester debout toute la nuit, accroupis, au mieux, allongés à même le sol les uns contre les autres comme des sardines dans les boites… Cette situation insupportable est inadmissible et indigne d’un État qui se veut être un Etat de droit. On ne peut pas traiter ainsi des humains quel que soit ce qu’ils ont fait. Aussi, je lance un appel urgent et solennel aux autorités de notre pays à tous les niveaux pour que les conditions de détention soient améliorées et que la dignité et les droits fondamentaux des prisonniers soient respectés.» (Monseigneur Dominique Banlène Guigbile, évêque de Dapaong).
«…Ce qui se passe est dangereux et grave. Le Togo appartient à tous les Togolais, même au paysan dans une campagne reculée. Le Togo n’appartient pas à un petit groupe qui décide à notre place…Ce que tu décides en ma faveur sans moi, tu le décides contre moi…» (Père Hodji).
Voilà quelques extraits de prises de position d´évèques et prêtres togolais contre ce qui se passe d´inacceptable et d´inhumain au pays dirigé par une même famille depuis 60 ans. Il serait ici superflu de rappeler le combat qui fut celui de Monseigneur Philipe Fanoko Kpodzro qui a rendu l´âme en exil, en Suède, le 04 janvier 2024, rallongeant ainsi la liste des Togolais, pas des moindres, morts à l´étranger, faute de pouvoir retourner sur la terre de leurs aieux, parce que persécutés. Malgré le fait que le défunt prélat ait dû passer ses denières années sur terre dans des conditions difficiles de l´exil, sa vie n´aura pas été vaine. En choisissant le sacerdoce depuis son jeune âge, il avait opté volontairement d´être au service de Dieu et surtout des hommes. Et être au service de Dieu et des hommes est synonyme de beaucoup de renonciations, de beaucoup de courage, de bravoure et surtout de beaucoup d´amour pour l´être humain justement, quel qu´il soit, d´où qu´il vienne. Et pour faire ce travail ingrat dans un pays comme le Togo, avec à sa tête des soi-disant dirigeants qui ne dirigent rien, mais qui ne font que jouir du pouvoir au détriment de l´intérêt des populations, il faut être prêt à affronter les hors-la-loi gravitant autour du sérail qui n´ont pour règle que la loi de la jungle. Monseigneur Kpodzro, en décidant, en février 2020, de se jeter corps et âme pour un changement au sommet de l´état, en prenant donc clairement position pour le peuple dont les souffrances n´ont que trop duré, en créant le regroupement politique qui porte son nom, la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK), pour supporter son poulain Messan Agbéyomé Kodjo, lors des élections présidentielles, il savait qu´il s´attirait les foudres de ceux qui n´ont jamais gagné aucune élection au Togo.
Au lendemain des élections, et comme nous sommes au Togo, ce qui devait arriver arriva. Faure Gnassingbé et sa clique se donnent le score qu´ils n´ont pas acquis dans les urnes, sevrant ainsi, comme beaucoup d´autres avant lui, Agbéyomé Kodjo de son éclatante victoire. Philipe Fanoko Kpodzro, en homme de dieu, amoureux de la vie humaine et de la liberté, surtout celle de ses concitoyens, décida d´affronter les tenants de la dictature Gnassingbé, conscient des conséquences qui pouvaient lui tomber sur la tête, connaissant bien les mauvaises habitudes de la maison qui ont contribué à asseoir ce régime, prêt à tout pour ne jamais partir. En s´engageant dans ce combat inégal contre un adversaire prédateur et sans vergogne, le prélat savait qu´il pouvait y laisser sa vie. Mais étant sûr d´être sur la bonne voie, car guidé par sa conviction qu´aucun être humain, quel qu´il soit, n´a le droit de faire souffrir, voire, de faire mourir d´autres êtres humains, parce que tout simplement il exerce un pouvoir politique. En homme de dieu il a poursuivi sa mission, et a dû partir en exil et mourir loin du pays qui l´a vu naître. Voilà le comportement d´un véritable homme de dieu qui ne devrait avoir peur ni de quelqu´un, ni de rien.
Après la disparition de Monseigneur Kpodzro début janvier 2024, nous remarquons aujourd´hui que d´autres évèques et prêtres dénoncent courageusement les désastreuses conséquences de la gouvernance hasardeuse du régime Gnassingbé sur les populations togolaises. La récente réforme constitutionnelle illégale, qui fait désormais de Faure Gnassingbé le monarque du Togo, fait aussi partie des critiques des éminents membres de l´église catholique de notre pays. Comme on le voit, en dehors de Monseigneur Kpodzro, beaucoup d´évèques et de prêtres ont déjà fait parler d´eux dans le passé, et s´expriment encore aujourd´hui avec courage pour dénoncer un pouvoir politique qui se trompe d´époque en violant les textes du pays et les droits élémentaires du citoyen. Cette prise de position claire et courageuse en faveur du peuple togolais par les hommes de dieu leur vaut d´être taxés par le régime d´hostiles à son maintien au pouvoir. Et c´est comme ça que nous pouvons expliquer ce refus par la CENI (Commission Électorale Nationale Indépendante) de l´accréditation du Conseil Épiscopal Justice et Paix Togo (CEJP) pour envoyer ses 500 observateurs sur le terrain dans le cadre des élections législatives et régionales, avec des arguments à dormir debout. D´ailleurs ce n´est pas la première fois que le pouvoir, à travers sa CENI aux ordres, exprime son aversion pour les observateurs de l´église catholique, qui pourraient chercher à voir plus clair pendant les fraudes électorales que sont les élections sous le régime Gnassingbé de père en fils.
Si nous voulons parler de congrégations religieuses ayant pignon sur rue dans notre république, nous pouvons citer les deux principales que sont les chrétiens et les musulmans. L’Église catholique, à travers le Conseil épiscopal justice et paix Togo (CEJP), dont nous venons d´évoquer les prises de position contre les effets de la dictature, est l’une des organisations les plus structurées au Togo. Parlant de prises de position contre la malgouvernance, du côté des musulmans, représentés par l´Union musulmane, c´est silence radio. Beaucoup d´observateurs et de citoyens Togolais, en ce moment critique de la vie politique de notre pays, se demandent pourquoi l´organisation, censée regrouper tous les musulmans du Togo, ne réagit pas. L´union musulmane, vu sa configuration depuis sa création, est-elle une organisation indépendante qui pourrait voler de ses propres ailes? Si nous nous amusons à remonter l´histoire des péripéties dans lesquelles le regroupement musulman togolais a vu le jour au début des années 1960, nous sommes en mesure de répondre par la négative; car l´union musulmane du Togo, dès ses débuts, était une organisation initiée par des hommes politiques au pouvoir à l´époque, pour ne pas dire par le gouvernement d´alors. L´idée et l´initiative de la mise sur pied d´une organisation pouvant regrouper les Togolais et les Togolaises d´obédience musulmane avaient germé autour des personnalités politiques comme Mama Fousséni, originaire de Sokodé, alors ministre de l´intérieur du gouvernement Grünitzky, El Hadj Safiou, natif de Bafilo, député à l´Assemblée Nationale. «…Cela se passait au mois d’aout 1963. Les statuts furent élaborés et déposés au ministère de l’Intérieur. Ils furent approuvés par les autorités gouvernementales et le récépissé de déclaration de l’association «Union Musulmane Togolaise» fut publié au journal officiel de la République Togolaise le 16 septembre 1963. Le 27 septembre 1963, le bureau fut constitué à titre définitif et à partir de cette date, l’Union Musulmane du Togo avait une existence officielle.» Voilà ce que nous avons pu retrouver dans les archives, à travers des amis, au cours de nos enquêtes au pays.
L´Union musulmane du Togo, mal partie dès sa création pour être une organisation vraiment autonome, avait continué surtout sous Gnassingbé Éyadéma à se comporter comme une aile marchante du parti au pouvoir. Comme on le voit, les dirigeants successifs à la tête de l´UMT n´ont jamais eu le courage de s´émanciper du pouvoir politique pour exister et agir en toute indépendance. La même allégeance, pour ne pas dire le même soutien, au pouvoir sous Faure Gnassingbé continue de plus belle, de telle sorte qu´il serait aujourd´hui difficile de distinguer l´organisation religieuse qu´est l´Union musulmane des autres institutions fantoches du RPT-UNIR. L´UMT est pratiquement inféodée au pouvoir togolais. C´est pourquoi il est impossible à ses dirigeants de prendre position pour défendre les populations contre les effets néfastes de la gouvernance inhumaine du régime de dictature qui régente aux destinées du Togo. Et c´est de la pure hypocrisie d´affirmer que la religion est apolitique, surtout que les premiers responsables de l´Union musulmane du Togo sont connus pour être des fidèles affidés du pouvoir politique de notre pays. Même ici en Allemagne l´église prend de temps en temps position contre certaines décisions politiques qui désavantageraient sur le plan social les minorités, comme les retraités, les handicapés, les demandeurs d´asile ou les immigrés en général. Le bien-être du citoyen doit être au centre de la mission de l´évèque, du prêtre ou de l´imam dans notre société. Cette mission devrait être encore plus importante dans une société où règne le pouvoir de dictature, donc l´arbitraire, comme au Togo. Les responsables de l´union musulmane devraient faire preuve de courage et se débarrasser de la soif du gain facile, pour enfin se libérer de cette chape de plomb politique qui les empêche d´accomplir le travail qui devrait être vraiment le leur au profit des populations. L´église catholique leur donne depuis des décennies un bon exemple sur ce plan.
Samari Tchadjobo
Allemagne