Dans son premier édito du 3 juin 1993 paru dans son journal L’indépendant, le journaliste burkinabè Norbert Zongo a dressé le portrait type de certains intellectuels africains qu’il a qualifiés « d’opportunistes, qui se servent de leurs connaissances livresques pour aider les dictateurs à donner une couverture idéologique et politique à leur tyrannie ».
À voir le parcours de feu Fambaré Natchaba hier et Christian Trimua aujourd’hui, on ne peut douter de leur ressemblance sur le plan universitaire et politique. Il s’agit de deux personnalités très respectées dans leur milieu professionnel, tous des juristes de grande qualité et d’éminents enseignants des facultés de droit des universités du Togo. Sauf qu’ils n’ont laissé à ce jour, sur le plan politique et académique, aucune œuvre pour la postérité.
J’ai eu l’honneur en 2006, en tant qu’auditeur libre, inscrit pour le compte de la 3e année de science politique à la faculté de droit et sciences politiques de l’Université de Kara, d’avoir M. Fambaré Natchaba comme chargé du cours de l’histoire de la pensée politique contemporaine. À la fin de ce cours annuel, qui a passé en revue toutes les révolutions qui ont marqué l’histoire politique depuis 1776 avec la révolution américaine, sur la guerre froide et les théories relatives au choc des civilisations, j’ai eu à poser une question à M. Natchaba qui est restée sans réponse. Voici la question. En tant que personnalité de référence comme universitaire et homme politique au Togo, avec ce parcours académique, qu’est-ce que vous allez laisser à la postérité comme œuvre ; avez-vous des disciples pour la relève ?
Étant donné que M. Natchaba n’avait pas répondu, je me permets de la reposer à M. Trimua. Je présume malheureusement qu’il n’est pas obligé de me répondre car lui aussi, tout comme son aîné, nous a habitués à des déclarations polémiques et parfois sarcastiques. Ce qui contraste avec l’éminence de sa personnalité. En effet, malgré le degré de responsabilité au sommet de l’État qui est la sienne, il n’a pas hésité, dans un débat, à appeler publiquement l’opposition togolaise à prendre des armes si elle tient à l’alternance politique dans notre pays. Il est aussi l’auteur de la déclaration selon laquelle, Eyadema à sa mort, a laissé le pays socialement déchiré, politiquement désorganisé et économiquement exsangue. Le contraste est qu’il était en ce moment, en pleine campagne pour un quatrième mandat du fils qui a hérité le pouvoir du père dans un bain de sang en 2005.
Aujourd’hui, il revendique avec hargne la paternité de la polémique sur la question des prisonniers politiques. En effet, au cours d’une émission télévisée, il a affirmé sans ambages, sans pour autant être en mesure de faire la présentation de la qualification de la catégorie juridique des faits et de préciser la problématique de la réalité par rapport à la règle de droit, avant de donner son appréciation sur l’objet. Ce manquement logique très grave nous oblige à douter de la sincérité de cette déclaration que nous classons dans la catégorie des affirmations gratuites. En tant qu’enseignant en droit, on attendait de lui un raisonnement scientifique, structuré, comme l’avait fait le juriste expert international Mohamed Madi DJABAKATÉ, politologue essayiste, Président Honoraire du Centre pour la Gouvernance Démocratique et la Prévention des Crises (CGDPC), qui s’était prononcé sur la question. Il a affirmé à juste titre, « en présumant sur la bonne foi des acteurs politiques ayant suffisamment eu le temps de rattraper leur erreur, tous ces prisonniers détenus sur des bases fantaisistes ne sont autres que des prisonniers d’opinion avant d’être des prisonniers politiques ». Selon lui, « un prisonnier politique est toute personne détenue en prison pour s’être opposée par la violence ou non au pouvoir en place dans son pays. En revanche, un prisonnier d’opinion est une personne emprisonnée non pas pour avoir agi, mais pour avoir simplement exprimé ses opinions ou ses convictions ». En définitive, l’expert insiste en disant que « la définition de prisonnier politique est claire sauf qu’elle fait l’objet de restrictions du fait de la mauvaise foi de ceux qui arrêtent pour des raisons politiques ».
Pour toute fin utile, nous tenons à rappeler que beaucoup de ces détenus ont obtenu plus d’une demi-douzaine de fois la condamnation de l’État togolais par la Cour de Justice de la CEDEAO, pour violation des droits de l’homme. Ce qui nous fait dire que le Togo se comporte comme un ‘’État voyou’’ qui viole en permanence les droits de ses enfants, ce que notre professeur de droit, ancien ministre des droits de l’homme a fait semblant d’ignorer.
Concernant l’autre polémique soulevée par M. Trimua au cours de cette même émission, à propos des enquêtes sur la violence perpétrée au siège de la CDPA le 29 septembre 2024, nous disons ceci : tout comme toutes les autres enquêtes sur les assassinats déguisés en bavures militaires et policières, que ce soit à Dapaong en avril 2013, à Mango en 2014 à la suite de la manifestation contre la volonté de restauration des zones protégées, à Sokodé, Bafilo, Mango et Lomé en 2017 à la suite des manifestations du PNP et de la C14, sans oublier plusieurs autres assassinats en 2019 en période de Covid-19, aucune enquête sur ces événements n’a jamais été élucidée. Il s’agit de faits qui illustrent bien la violence politique imposée comme culture, dans le seul but de conserver le pouvoir. Cela a fait l’objet d’une tribune libre que nous avons intitulée « Togo, la paix au bout du silence imposé », que nous avons publiée en 2023.
Toutes ces sorties médiatiques de notre professeur de droit qui plus est, un ancien ministre des droits de l’homme et actuellement ministre secrétaire général du gouvernement, posent par-dessus tout la problématique du rôle de l’intellectuel africain dans sa société. En réalité, dans le contexte postcolonial, dans beaucoup de pays africains, un intellectuel est perçu comme une personne ayant beaucoup de diplômes, pouvant accéder à toutes les hautes fonctions publiques ou privées. Malheureusement, dans bien des cas, plus ils sont incompétents, plus ils engrangent des mérites. Pour d’autres encore, plus ils sont intellectuellement malhonnêtes, plus on se sert d’eux pour échafauder des stratégies d’une théorie de complot et de défenseurs intéressés du pouvoir à vie.
Le problème de fond aujourd’hui, c’est comment s’organiser pour empêcher ces intellectuels véreux, condescendants, avides de gain et de pouvoir, qui se liguent avec les dictateurs, prêts à marchander la liberté et la dignité de leurs concitoyens pour garantir leur position sociale. Au demeurant, il faut leur dire que la fin ne justifie pas toujours les moyens, surtout lorsque les méthodes utilisées sont immorales et trahissent les principes de la vertu, de la sagesse, de la dignité et de l’intégrité de l’Homme. Il est très malsain de voir d’éminents intellectuels de surcroît professeurs des universités qui passent leur vie à vouloir détruire la mémoire et l’histoire de toute la nation au lieu de la préserver.
Venir devant les caméras, face au monde entier, déclarer, en voulant justifier la constitution de la 5ème république, que la constitution de la 4ème république comportait des éléments « crisogènes » est tout simplement une insulte à la mémoire collective, non seulement pour tout le travail de la CVJR ayant abouti à plus de 60 recommandations, mais en particulier la recommandation N°6 qui a bien cerné et circonscrit le vrai problème du Togo. C’est le lieu pour nous de réaffirmer notre engagement solennel d’apporter toujours la lumière partout où besoin sera, pour décourager l’iniquité, la délinquance politique et élever dans l’esprit de tous les Togolais la défense de l’apaisement politique, afin de garantir la paix civile, le vivre-ensemble et réconcilier les citoyens avec eux-mêmes.
OURO-AKPO Tchagnao
Président du mouvement Lumière pour le Développement dans la Paix (LDP)
Source: La Dépêche N°1207 du 06 Novembre 2024