Des manifestants en colère sont descendus ce lundi 4 novembre 2024 dans les rues de plusieurs villes du sud-est à majorité kurde de la Turquie pour protester contre le limogeage de trois maires issus du principal parti prokurde du pays, accusés de « terrorisme ».
Les maires des grandes villes de Mardin et de Batman, et celui de la localité de Halfeti, toutes dans le sud-est, ont été remplacés lundi par des administrateurs, ou « kayyums », nommés par l’Etat, a annoncé le ministère turc de l’Intérieur.
Les trois maires déchus sont membres du Parti de l’égalité des peuples et de la démocratie (DEM, ex-HDP), troisième force politique au Parlement, que le pouvoir accuse de liens avec les combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ce que le DEM dément.
Le Conseil de l’Europe, principal organe de défense des droits de l’homme en Europe, s’est déclaré « gravement préoccupé » par la « longue pratique d’Ankara consistant à nommer des administrateurs » qui, selon lui, « porte atteinte à la nature même de la démocratie locale ».
Des manifestations ont éclaté dans les trois villes concernées, ainsi qu’à Diyarbakir, capitale informelle des Kurdes de Turquie, où quelque 2.000 personnes ont défilé sous étroite surveillance policière, selon un correspondant de l’AFP.
« Kayyums, dehors! », ont scandé des manifestants à Diyarbakir.
Pour tenter d’étouffer la fronde, les gouvernorats de Mardin, Batman et Sanliurfa avaient interdit tout rassemblement pendant dix jours. Les manifestations avaient également été proscrites à Diyarbakir jusqu’à mercredi soir.
« Nous devons nous faire entendre face à ces agissements illégaux, ce fonctionnement anti-démocratique qui défie la volonté du peuple », a lancé sur X le maire de Mardin, Ahmet Türk, 82 ans.
Cette figure populaire du mouvement kurde avait appelé ses partisans à se réunir devant la municipalité, où il a été rejoint par le chef du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), principale formation de l’opposition, Özgür Özel.
A Mardin, la police a ensuite essayé de disperser les manifestants avec des canons à eau et en tirant des balles en caoutchouc, selon la chaine d’information T24 et MedyaScope TV.
A Batman, la police a également fait usage de canons à eau et de gaz poivré, et arrêté 75 personnes qui tentaient de pénétrer dans la municipalité, selon T24.
Poursuivi pour « appartenance à une organisation terroriste armée », M. Türk avait déjà été démis de ses fonctions et emprisonné à plusieurs reprises lors de précédents mandats, accusé de liens avec le PKK, groupe armé considéré comme terroriste par Ankara et ses alliés occidentaux, qui mène une guérilla contre l’Etat turc depuis 1984.
Le parti DEM a qualifié ces destitutions de « coup d’Etat », dénonçant « une attaque majeure contre le droit du peuple kurde à voter et à être élu ».
« Frères kurdes »
« Le gouvernement perd le contrôle », a également fustigé sur X le puissant maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, figure du CHP.
« Le droit d’élire n’appartient qu’aux électeurs et n’est pas transférable », a souligné l’élu, probable candidat à la prochaine présidentielle et lui-même dans le viseur du pouvoir.
Des dizaines de maires élus dans le sud-est à majorité kurde de Turquie avaient été démis de leur fonction et remplacés des administrateurs désignés par le gouvernement à partir de 2016. Ces destitutions étaient toutefois devenues plus rares ces dernières années.
Le maire DEM d’Hakkari, ville de l’extrême sud-est de la Turquie, a cependant été démis de ses fonctions en juin avant d’être condamné à 19 ans et demi de prison pour « terrorisme ».
L’ancien coprésident du HDP (devenu DEM), Selahattin Demirtas, incarcéré depuis 2016, avait été condamné trois semaines plus tôt à 42 ans de prison, notamment pour atteinte à l’unité de l’Etat.
Les trois maires déchus lundi ont été élus lors des élections locales de mars qui se sont soldées par une large victoire de l’opposition au détriment du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) du président Recep Tayyip Erdogan.
Ces destitutions interviennent quelques jours après l’arrestation pour des liens présumés avec le PKK d’un maire d’arrondissement d’Istanbul, issu du parti d’opposition CHP et alors que le président Erdogan a affirmé vouloir « tendre la main aux frères kurdes ».
Le chef de l’Etat et son principal allié, Devlet Bahçeli, laissent entrevoir depuis deux semaines la possibilité d’une libération anticipée du chef historique du PKK, Abdullah Öcalan, détenu depuis 1999, une tentative d’apaiser le « front intérieur » dans un contexte régional menaçant.
Le PKK a revendiqué entretemps l’attentat perpétré le 23 octobre près d’Ankara, qui a fait cinq morts et 22 blessés, précisant cependant qu’il s’agissait d’une « action planifiée de longue date » et non liée aux récentes déclarations du président turc et de son allié d’extrême droite.
@Avec l’AFP