Dans une analyse sur les réformes économiques controversées au Togo, Tchagnaou Ouro-Akpo, président du mouvement Lumière pour le Développement dans la Paix, soulève des questions sur la réalité des changements économiques au Togo. Il met en lumière les défis structurels persistants, la dégradation de l’économie locale et la domination croissante des intérêts étrangers, appelant à une réévaluation urgente des politiques publiques en faveur d’un développement véritablement national et inclusif.
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Le 07 octobre dernier, la ministre secrétaire générale de la présidence a informé l’opinion nationale et internationale concernant le premier rapport de Business Ready de la Banque mondiale. Selon cette organisation, sur la base d’un certain nombre de critères, le Togo est classé premier pays les plus réformateurs en matière du climat des affaires en Afrique et dans le monde.
En tout état de cause, pour la majorité des togolais, que dire de tous ces rapports de ces institutions internationales que le chef de l’État togolais a fustigé lors du 79ème sommet de l’assemblée générale des nations unies le 25 septembre dernier?
Par rapport à la réalité du Togo, ces rapports ne paraissent-ils pas comme de la poudre aux yeux?
En effet, ce premier rapport de Business Ready nous rappelle celui de Doing Business qui, il y a quelques années, classait le Togo comme premier pays réformateur en matière du climat des affaires en Afrique et 3ème au monde.
A ce jour, vu la situation économique du pays qui se trouve dans un état de dégénérescence avancé et totale, on se demande quelles sont les implications de toutes ces réformes? Et du coup, si par rapport au quotidien du togolais lambda rien n’a changé malgré tout, on est en droit de chercher à savoir, ce qui n’a pas marché?
La vérité est que tout le Système de Gestion des Finances Publiques (SYGFIP) n’est pas une réalité quotidienne; que toute l’économie du pays est totalement désarticulée sans aucune maîtrise du système de production nationale, surtout le secteur primaire; que l’agriculture est toujours tributaire des aléas climatiques; que la pauvreté et le chômage sont devenus endémiques; que le pouvoir d’achat des togolais est toujours faible, de même que l’épargne locale; que les populations n’hésitent pas à aller chercher de quoi manger sur les dépotoirs et que en fin, la capacité de création d’emploi durables est sujet à caution.
En se référant à tout ce qui précède, on a comme l’impression que le gouvernement togolais vit et entraîne l’opinion nationale et internationale dans une fiction.
Au demeurant, ce n’est un secret pour personne. Toutes ces réformes dont l’objectif supposé est d’améliorer le climat des affaires au Togo, très souvent imposées et appréciées par ses institutions internationales, sont en réalité réalisées dans l’intérêt de l’oligarchie internationale. Il s’agit d’un consentement tacite sans aucune résistance du pillage de nos ressources avec la complicité des valets locaux. Depuis le premier Programme d’Ajustement Structurel (PAS) imposé par les institutions de Bretton Woods en 1982, presque toutes les sociétés d’État sont devenues, après leur privatisation, le prolongement des tentacules des grandes firmes multinationales. En l’occurrence, aujourd’hui, des pans entiers de l’économie se trouvent dans les mains des opérateurs étrangers. Ce qui est la conséquence d’une véritable prise en otage de l’économie par l’oligarchie intenable, avec la complicité de la classe dirigeante du pays. Le port autonome de Lomé et la SNPT jadis poumon de l’économie togolaise sont à plus de 80% de leurs activités, sous le contrôle des sociétés étrangères avec toute la manutention et la gestion du troisième quai par Bolloré africa logistic pour la première et les Israéliens pour la seconde. La NSCT et toute une partie de l’industrie minière sont aux mains des Indiens et d’autres étrangers avec seulement une prise de participation de l’État d’à peine 10% de leur capital social. On note aussi que tout le système de télécommunication du pays est géré par des étranger; quel paradoxe ?
En réalité, toutes ces réformes ont eu pour effet d’étouffer l’entrepreneuriat local et d’imposer une forme de libéralisme frénétique avec une concurrence pure et dure pour les PMI-PME naissantes laissées à elle-même sans aucune protection. Aussi, depuis plus de 15 ans que ces réformes ont-elles été initiées, le Togo n’a pu fabriquer une classe moyenne et même former ne serait ce qu’une dizaines de capitaines d’entreprise pour un développement autocentré.
Aujourd’hui presque tout le système bancaire est hors contrôler et toute la logique de la production nationale n’est qu’au service de l’intérêt de l’oligarchie internationale.
A voir ce qui se passe dans les pays voisins, surtout sur le plan de la formation du capital fixe (les infrastructures économiques) et l’émergence de l’entrepreneuriat national, on peut se convaincre que le Togo n’a pas progressé. Ce qui pousse à dire que certains rapports des institutions internationales sont plutôt tronqués, avec des objectifs qui n’ont rien à voir avec l’intérêt national.
Tout ceci est fait pour se payer la tête des togolais, alors que la situation contraste avec le classement du pays comme 1er en matière de réforme du climat des affaires. Ce que le peuple n’est pas en mesure de témoigner?
C’est pour cette raison que la satisfaction affichée de la ministre secrétaire générale de la présidence nous intrigue.
En effet, l’on se rappelle encore la même satisfaction affichée par le gouvernement togolais le 14 octobre 2010 à l’annonce par le représentant résident de la Banque Mondial au Togo, de l’atteinte par le Togo de l’initiative PPTE avec comme avantage, la réduction de 80% de sa dette publique extérieure.
Ce jour-là, nous avons eu l’audace en notre qualité de député à l’assemblée nationale, de poser cette question au représentant de la banque mondial à Lomé : quel sera l’effet de l’initiative PPTE sur l’économie nationale? Cette initiative peut-elle avoir une implication directe sur le chargement structurel de l’économie du Togo?
Il faut le reconnaître, le problème de l’économie du Togo comme la plupart des pays africains est d’ordre structurel, une économie totalement extraverti.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, le représentant de la banque mondial nous a répondu en disant que, le seul avantage du Togo, c’est d’avoir plus de facilité à s’endetter de nouveau.
Nous avons apprécié sa franchise car, nous étions convaincus depuis lors que les solutions proposées par les institutions de Bretton Woods ont toujours été des solutions conjoncturelles, alors que le problème de nos économies est d’ordre structurel.
Malheureusement, comme il fallait s’y attendre, les autorités togolaises ont choisi comme solution au problème récurrent du déséquilibre budgétaire, la politique de l’endettement surtout depuis la fin de l’année 2010. Ainsi le niveau de la dette est passé de 760 milliards soit 46% du PIB à la fin de l’année 2010, à la fin de l’année 2023 à 3.583 milliards soit à la limite du soutenable, avec en moyenne une augmentation de 200 milliards par an.
Nous sommes convaincus que cette trouvaille proposée sous le vocable ronflant de réforme du climat des affaires, n’est rien d’autre qu’un instrument à l’origine, pour faire la promotion des entreprises étrangères, en leur accordant tous les avantages possibles. Ce qui a conduit, sans que des mesures d’incitation et d’accompagnement ne soient prises pour l’entrepreneuriat national, à l’étouffement des initiatives locales en vue de la mise en place de PMI/PME locales. Ces mesures d’initiation et d’accompagnement des PMI-PME surtout dans le secteur de l’agro-alimentaire. Ce qui devraient permettre , sur la base des avantages comparatifs des potentialités de productivité économique des différentes régions du pays, promouvoir les entreprises locales au lieu de les laisser désormais soumises à la rude concurrence étrangère sans aucune protection.
Ce qui est plus énigmatique, c’est que ces entreprises étrangères sont devenues des maîtres chanteurs et ne se sentent pas obligées de se soumettre à leur assujettissement fiscal.
La preuve, le dernier rapport de la cour des compte sur l’exécution de la loi des finances exercice 2022 relève des « bizarreries dans les dividendes versés, surtout les sociétés pétrolières et autres … ». Il ne s’agit là que du reflet de la mauvaise gouvernance caractérisée par un manque de rigueur dans la gestion des finances publiques sur fond de corruption. Ce qui favorise non seulement la fraude mais aussi l’évasion fiscale qui sont monnaie courante et qui n’ont jamais été sanctionné dans notre pays.
Quand des entreprises refusent délibérément de verser des dividendes à l’État sur plusieurs années et que ce pays est classé meilleur réformateur du climat des affaires dans le monde par l’oligarchie internationale, il faut se poser la question si les dirigeants de ce pays ne sont pas victime de leurs propres turpitude ?
En effet, ces différents rapports et propositions bien structurés, bien organisés, à la limite imposés et intégrés aux politiques publiques, ont conduit à la banalisation du cynisme de la dette. Ils sont à la base du maintien du cercle vicieux de la pauvreté à cause de la privatisation non maîtrisée des services bibliques. Ces réformes ont contribué à la perte de l’autorité de l’État, la banalisation du chômage et de la dignité de l’homme qui n’est plus au centre de toutes les préoccupations.
Il devient impérieux de revoir le code des investissements et surtout la loi portant sur la zone franche, pour remédier à tous ces manquement et faire une place à la promotion de l’expertise et de l’entrepreneuriat nationale pour un développement intégré à la politique de la décentralisation et aux collectivités locales. C’est le prix à payer afin de remettre l’homme au centre de toutes les politiques publiques de l’État.
Ainsi, nous interpellons nos gouvernants à méditer sur cette formule d’un ancien homme d’Etat africain: si par vos actions, vous êtes applaudis par l’occident, c’est que vous êtes en train de trahir votre peuple.
OURO-AKPO Tchagnaou, président du mouvement Lumière pour le Développement dans la Paix (LDP).